ENVIRONNEMENT

40 ans d’actions et inactions pour le climat

 

par Andréa Goulet

Alors que la prise de conscience politique et industrielle sur le climat a eu lieu il y a au moins 40 ans, pourquoi l’objectif de réchauffement de 2°C en 2100 semble-t-il plus inaccessible que jamais ? Commençons par poser le contexte de cette crise climatique, déjà vieille de 40 ans d’actions et – surtout – d’inactions.

TERRA INCOGNITA #6  CLIMAT, IL EST TROP TARD POUR NE RIEN FAIRE

En 1979, des fabricants français de sacs plastiques commencent à chercher à produire des matériaux moins nocifs pour l’environnement.

Lors des quinze années précédentes, les sacs plastiques sont devenus omniprésents, grâce à l’essor des hypermarchés, dont le premier à ouvert en 1963. En périphérie des villes, ils font plus que jamais entrer cet objet dans la vie quotidienne : alors que les sacs en papier se déchirent et ne résistent pas à l’eau, que les sacs tressés doivent être apportés par les clients, les sacs plastiques ont l’avantage d’être pratiques, légers, peu chers. Le libre-service explosant, les magasins peuvent y conditionner ce qui étaient auparavant des produits en vrac, des préparations surgelées, et les clients peuvent eux-mêmes y emballer leurs fruits et légumes, puis, une fois en caisse, leurs courses.

Les polymères plastiques, mis au point dans les années 1930 et 1940, arrivent aussi à point nommé pour accompagner le passage de l’ère de la vente à celle du marketing. L’annonce commerciale laisse sa place à la publicité et le sac plastique offre le prétexte idéal au positionnement de logo : le trajet de l’hypermarché à la voiture et de la voiture au domicile, la résistance du sac sur le long terme deviennent des vecteurs publicitaires à part entière, tant et si bien que certaines enseignes finissent pas proposer le remplacement gratuit de leurs sacs en plastique épais.

La période d’après-guerre et son fantastique essor économique sont un cadre parfait pour le développement des objets à usage unique. Leur production nourrit l’économie, leur aspect pratique s’insère parfaitement dans l’émancipation de la femme. Au-delà du sac plastique, ce sont les barquettes, touillettes et couverts, films alimentaires qui sont de plus présents, alors que formica et plastique moulé des objets domestiques, voués à durer, sont déjà bien installés.

1979, c’est aussi l’année où le G7 a pris pour engagement collectif de lutter contre la pollution atmosphérique en « développant d’autres sources d’énergie et plus particulièrement celles grâce auxquelles il sera plus facile d’empêcher l’accroissement de la pollution ». C’était 7 ans après la première Conférence des Nations Unies sur l’Environnement – aussi connue sous le nom de premier Sommet de la Terre – qui a eu lieu à Stockholm en juin 1972 et a vu naître le Programme des Nations Unies pour l’environnement, lançant une prise de conscience à grande échelle.

Des solutions repoussées 

En 1979, 30% de la population mondiale n’a pas encore accès à l’électricité et on est au début du choc pétrolier, qui a obligé les pays qui dépendent en grande partie de l’OPEP à repenser leur consommation d’énergie issue d’hydrocarbures. Si des investissements sont faits pour être moins dépendants du pétrole, les modèles de consommation ne sont pas repensés en profondeur. Et pour le philosophe de la nature allemand Klaus Meyer-Abich, aucun enjeu ne sera une motivation plus forte que les enjeux économiques mis en lumière par la crise et toutes les décisions prises dès lors le seront à la marge.

Pendant 10 ans, les États parleront, au niveau national et international, de la nécessité d’agir, mais sans prendre de directives précises, chiffrées, contraignantes. Et pourtant, les chiffres ne manquent pas. Depuis 1958, la Courbe de Keeling permet de suivre la concentration en CO2 dans l’atmosphère (mesurée en continu à l’observatoire de Mauna Loa, à Hawaï) et affiche une augmentation constante et en légère accélération. La concentration en CO2 sera d’ailleurs l’un des premiers points auxquels le G7 s’attache, avant la déforestation, la biodiversité ou les marées noires. Si les Etats veulent en stabiliser les émissions, ils savent qu’ils ne peuvent pas le faire sans les entreprises qui semblent responsables de la majorité d’entre elles.

Aux États-Unis, par exemple, les géants de l’industrie pétrolière comme Shell ou Exxon sont ainsi associés aux débats et semblent sincèrement convaincus de la nécessité d’évoluer pour sauver la planète. Mais si politiques, scientifiques et industriels constatent les mêmes faits, ils n’ont pas les mêmes objectifs, pas les mêmes idées pour agir, pas les mêmes intérêts. Les textes sont rédigés de façon suffisamment vague à convenir à tous, soit insuffisamment précise pour permettre de prendre des mesures concrètes et amorcer un réel changement. Ces dix années, Nathaniel Rich les appelle « la décennie où nous avons failli arrêter le changement climatique ».

En 1989, alors que cette décennie s’achève, le G7 ne se contente plus de constater la nécessité d’agir mais prend des engagements chiffrés sur les émissions de gaz à effet de serre. Ces grandes puissances mondiales sont aussi des pays de moins en moins industrialisés, une partie de leur usine étant délocalisées dans les années 1990. On pourrait croire que la limitation de leur impact sur le climat n’en serait que plus rapide. Pourtant, les estimations de mise en conformité des pays du G7, puis G8, avec les engagements pris au fil du temps pour le climat oscillent entre 34% et 52%.

Des mesures mal prises en compte

Évidemment, les pays du G8 ne sont pas les seuls à s’engager. Pour mesurer l’état du monde et les effets de leurs actions et de leurs inactions, les États du monde entier ont en 1988 créé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Dans un contexte de migrations fortes et de crise humanitaire déclenchée par le climat, le dernier rapport du GIEC, sorti à l’été 2019 et concernant l’état des sols, a beaucoup fait parler. Les terres se réchauffent deux fois plus vite que la moyenne du monde et la dégradation des sols les empêche d’absorber le CO2 de l’air. Alors que la population ne cesse d’augmenter, l’agriculture est à la fois une cause et l’un des secteurs les  plus touchées par le réchauffement climatique, qui affecte les rendements et la valeur nutritionnelle des récoltes. 

Les rapports principaux du GIEC, à ce jour au nombre de cinq (le sixième étant prévu pour 2022), s’attachent à un cadre beaucoup plus large.

En 1990, dans son tout premier rapport, le GIEC prédit, selon les scénarios pour l’horizon 2100, une augmentation de 1°C à 3°C de la température terrestre et une augmentation du niveau des mers de 65 cm. Ce premier rapport est surtout une validation de l’idée que l’accélération du réchauffement climatique est une conséquence de l’activité humaine.

En 1995, les conclusions du GIEC changent peu mais servent de base au protocole de Kyoto, signé en 1997, ratifié par tous les pays en 2004 à peine et remis en question par des pays comme le Canada et les États-Unis.

Le rapport de 2001 montrer que les années 1990 ont été les plus chaudes depuis 1860. Il attire l’attention du grand public sur le réchauffement climatique, déclenche la politisation des débats écologiques et… le développement du courant climatosceptique. 

En 2007, le GIEC crée trois groupes de travail et le rapport reprend les bases scientifiques du réchauffement climatique, ses conséquences directes en termes de vulnérabilité et l’atténuation possible des changements.
En 2014, le cinquième rapport se veut alarmiste et structuré de façon à aider les décideurs qui se réuniront en 2015 à la Conférence de Paris pour le climat dans la définition de politiques pour limiter le réchauffement climatique.

Pour certains scientifiques, l’Accord de Paris est insuffisant. Manque de sanctions, manque de prise en compte des pays émergents pour qui les émissions de CO2 ne sont pas une préoccupation prioritaire face aux autres enjeux de développement, manque de décisions franches sur les énergies fossiles, absence de mention de l’aviation et du transport maritime, manque d’accompagnement des pays vulnérables… Pour d’autres, il est irréaliste. Malgré l’objectif affiché de maintenant le réchauffement de la planète à 2°C en 2100, les mesures prises nous feraient tendre vers 3°C – si elles sont entièrement respectées. Or, à l’automne 2018, la COP24 n’a pas entièrement atteint un de ses objectifs : fixer un mode d’emploi des Accords de Paris. Difficile de contenter toutes les parties prenantes, entre intérêts économiques, politiques et survie.

Trop tard pour ne rien faire… et trop tard pour agir

Comme nous le disait Jean Rostand : « Attendre d’en savoir assez pour agir en toute lumière, c’est se condamner à l’inaction. »

Cela fait 40 ans environ que les fabricants de plastiques ont commencé leur quête de matériaux plus propres et que les États ont pris collectivement conscience des problèmes environnementaux. Leurs engagements ont payé, en partie. On est passés des gobelets en plastique aux gobelets en papier avant de se rendre compte qu’une fine pellicule de plastique les rendait impossible à recycler. On a développé des polymères qui se laissent dévorer par des bactéries et dont les chaînes chimiques se dégradent dans la nature. Face aux levées de boucliers des consommateurs, on a mis au point des façons de recycler les dosettes et de composter le plastique. Mais rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les polymères ne se dégradent pas tout à fait dans la nature, tout est une question d’humidité, de température, de temps… Et même après des milliers d’années, les particules existent encore.
Collectivement, on fait bouger les choses et les industriels se plient aux exigences des consommateurs et associations, quitte à greenwasher. Individuellement, c’est plus lent. 

On s’alarme de la déforestation en Amazonie par des incendies déclenchés par des géants agricoles, mais on n’est pas tout à fait prêts à repenser sa consommation de viande pour moins, mais mieux. On sait que l’avion pollue par ses émissions de gaz à effet de serre et son forçage radial, mais on ne sait pas encore comment détricoter des sociétés en partie construites sur les échanges internationaux et la possibilité du déplacement. On sait qu’il faudrait produire moins, plus près et dans des conditions plus respectueuses des ouvriers, mais on n’y fait pas toujours spontanément attention lors d’un achat (ou en s’abstenant d’acheter).

Pour Pablo Servigne, théoricien de l’effondrement, l’action est rendue difficile au niveau citoyen parce que nous manquons de clefs pour mesurer l’impact de nos actions, pour comprendre en profondeur les conséquences de nos choix, pour discuter des rapports du GIEC et en saisir pleinement les enjeux. Et au-delà des chiffres du GIEC, les clefs pour comprendre les différents types d’agriculture, l’impact écologique des objets réutilisables ou les grandes lignes de la crise climatique sont-elles à portée de main ? Et c’est aussi une question de moyens de chacun, bien sûr.

Pablo Servigne parle de célébrer ses dernières fois : dans l’avion, avec un objet jetable à la main, avec la fast fashion… Parce qu’on en fait jamais assez, mais que chaque pas compte et que l’à-quoi-bonisme n’est pas certainement pas une solution. 

Pour certains, s’appuyer sur les actions des citoyens et interdire les pailles, c’est détourner l’attention des décisions politiques, prises par ceux qui ont les clefs pour comprendre pleinement les enjeux des rapports du GIEC… mais n’ont probablement que trop conscience que limiter le réchauffement climatique est difficilement compatible avec le développement économique tel qu’on le conçoit aujourd’hui.

La solution est probablement quelque part au milieu : nos actions individuelles ne suffiront pas, mais elles sont une façon de pousser les industriels au changement et de changer les modèles économiques, en attendant la transition sociale qui nous rendra – à tous les niveaux de la prise de décision – plus prévoyants, plus prévenants, plus à l’écoute d’idées pour changer nos usages plutôt que d’en remplacer des éléments.

« L’action est rendue difficile au niveau citoyen parce que nous manquons de clefs pour mesurer l’impact de nos actions, pour comprendre en profondeur les conséquences de nos choix. »

Dans ce numéro

#6

Nicolas Hulot

“L’État n’a pas le temps de faire émerger un nouveau modèle de société. »

Corinne Lepage

La Justice : une arme décisive au service du climat

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