Illustrations : Juliette Lagrange
RÉCIT
Cinquième partie : un Maire contre l’écologisme
par Arthur Frayer-Laleix
Mercredi matin, aux alentours de 9 heures. Au volant de sa voiture, Maurice roule en direction de la commune de Pierrelatte. À travers les fenêtres défilent les champs et les parcelles de vignes. Il fait chaud. L’air sent l’été.
TERRA INCOGNITA #6 ● CLIMAT, IL EST TROP TARD POUR NE RIEN FAIRE
Au bord de la route, on dépasse parfois des échoppes qui vendent de l’huile d’olive et des tresses d’ail.
« Je ne suis plus certain de la route. La dernière fois que je suis venu voir Denis, ça doit remonter à dix ou vingt ans », dit Maurice.
Denis est le distillateur avec qui il a trouvé un arrangement : l’essence sera vendue au prix du marché actuel. C’est une bonne affaire pour tous les deux.
La distillerie se trouve sur une route secondaire, au bout d’un chemin bordé de cyprès. Maurice gare la voiture sous un coin d’ombre. Deux employés attendent, appuyés contre un rebord de hangar, les yeux sur leurs téléphones portables. On se serre la main.
« Bonjour, je viens voir Denis, dit Maurice en leur tapant sur l’épaule à la façon d’un vieux copain.
« Il est pas là », dit l’un des gars. C’est un jeune type qui bosse là l’été et qui fait paysagiste le reste de l’année. Il porte une casquette rapiécée. Il sourit beaucoup :
« Denis est parti réparer une moissonneuse qui a cassé un roulement ».
« Ah merde, les roulements, c’est mauvais ça… »
Du coup, en attendant, on se met à discuter. La distillation est arrêtée tant que leur patron n’est pas de retour. Peu après, un type arrive. Il est vêtu d’un bermuda militaire et de chaussures de sécurité :
« Il est pas là, Denis ? », demande le gars en sortant deux gros bidons de son coffre de voiture. « C’est pour y mettre de l’essence de lavande. »
On lui explique que Denis est parti réparer une moissonneuse pas loin d’ici. Il se joint à la conversation. Le jeune employé montre un grand bac rempli d’un liquide sombre :
« Ça, c’est de l’hydrolat. C’est 95% d’eau et 5% de lavande. On peut s’en servir pour parfumer le linge ou nettoyer les sols. C’est ce qu’il reste de la distillation de la lavande. »
Le type en short militaire s’approche :
« Faut pas en mettre dans un fer à repasser ! Ma femme a fait ça l’autre fois… Ca a bousillé tout l’intérieur du machin. »
Puis il repart en laissant là ses deux gros bidons.
Enfin, Denis arrive. Il porte des chaussures de sécurité lui aussi, un vieux pantalon et des lunettes retenues par une cordelette autour de son cou. Maurice qui attend depuis tout à l’heure, lui sert la main :
« Alors, c’est réparé ce roulement ? »
Denis grimace :
« Y’a des matinées plus compliquées que d’autres. Les machines, plus c’est moderne et moins ça marche, à cause de toute l’électronique. »
Mais le roulement est réparé, c’est tout ce qui compte. Avec un transpalette, il charge le bidon de 100 litres d’essence de lavande dans le coffre de la voiture de Maurice. Ce dernier fait un chèque et on repart en direction de Grignan. Dans la voiture, Maurice sourit. Dans la voiture, son téléphone sonne. C’est une notification d’une chaîne d’information en continue : encore des nouvelles alarmantes sur le réchauffement du climat.
« Je lirai ça quand je serai à la maison », dit Maurice.
Il est 18 heures sur la place de la mairie de Grignan. C’est le début des vacances d’été. Aux terrasses des cafés, les touristes boivent des sodas et de la bière sans se douter que, dans la mairie juste à côté, un homme travaille dur à son bureau : c’est le Maire, avec qui on a rendez-vous. Bruno Durieux, 74 ans, est le premier édile de Grignan depuis vingt-cinq ans. Il est ingénieur de formation. Il a été conseiller de Raymond Barre et brièvement ministre de la Santé au début des années 1990. Et, disons-le d’emblée, il n’aime pas les écologistes.
« Des idéologues et des dogmatiques », dit-il.
Il leur a consacré un livre dont le titre ressemble à une charge de cavalerie : Contre l’écologisme. Pour une croissance au service de l’environnement. L’ouvrage est paru au printemps 2019 aux éditions De Fallois.
Quand on le retrouve dans son bureau, il porte une chemisette bleu clair et des mocassins d’été. Il a les tempes blanches et le parler direct comme un uppercut de boxeur. Il nous dit :
« Il y a bien un réchauffement climatique, oui, mais les causes sont multiples. Ce n’est pas uniquement la faute de l’activité humaine. Ceux qui disent cela sont des idéologues. Les partisans de l’écologie politique ne font que remplir le vide créé par la chute du marxisme. »
Il ajoute :
« On s’y adaptera au réchauffement climatique… à la condition d’avoir les moyens de s’adapter. Et pour cela, il nous faut du progrès technique et de la croissance ! La croissance économique, c’est la seule solution ! Si les gens ont si peur de la sécheresse, c’est qu’ils répètent sans réfléchir ce qu’ils entendent dans les médias. Ils entendent la doxa et ils la répètent. »
À Grignan, dit-il, la moitié des agriculteurs pensent comme Maurice Feschet que les récoltes sont de plus en plus mauvaises à cause de la sécheresse.
« Mais l’autre moitié dit que les aléas de la météo, ça a toujours existé. »
On parle de Maurice Feschet au Maire. Les deux hommes se connaissent depuis vingt ans. Ils se respectent, ce qui ne les empêche pas de ne pas être d’accord :
« Maurice s’est laissé embarqué dans cette histoire de plainte contre l’Europe par ce professeur de droit allemand », estime Bruno Durieux.
Maurice a lu le livre de Bruno Durieux « en trois jours »:
« Il dit des choses intéressantes, Bruno, mais je ne suis pas du tout d’accord avec ses conclusions. »
Maurice Feschet a rangé le livre de Bruno Durieux sur les étagères de sa ferme et s’est remis à lire les rapports du Giec et des autres organismes internationaux alertant sur le réchauffement climatique. Ses alertes Google lui apportent de la lecture chaque jour. L’une des toutes dernières ne l’a pas vraiment rassuré : juillet 2019 a été décrété le mois le plus chaud jamais enregistré dans le monde.