ÉCONOMIE CIRCULAIRE

Frank Gana

Pour que la France soit leader de l’économie circulaire

Interview, photo et article
Valentin Pringuay

TERRA INCOGNITA #01 EN QUÊTE DE SENS

Le parcours de Frank Gana ne ressemble en rien à ce qu’il s’était imaginé à la fin de ses études. Normalien et agrégé d’économie et de gestion, il se destinait à faire de la recherche aux États-Unis ou au Canada. « J’ai toujours aimé naviguer entre l’économie, la gestion, l’informatique et aussi la sociologie… qui était ma vraie passion », confie-t-il. C’était sans compter sur son initiation à l’univers des star-tup. Nous sommes à la fin des années 90 et il commence à travailler pour un fonds d’investissement en création. « De fil en aiguille, j’ai découvert que le rythme du business me convenait bien mieux que le rythme académique ou que celui de la recherche. »

Il bascule alors complètement dans le monde du business en devenant le premier salarié de ce qui allait devenir le premier incubateur d’Europe. Près de vingt ans plus tard, Frank Gana est Chief Digital Officer de CITEO, un rôle qui lui permet de concilier ce qui le passionne et ce qui donne du sens à sa vie : l’innovation et l’environnement.

 

Dans les coulisses de CITEO

 

CITEO, c’est le fruit de la fusion entre Eco-Emballages et Ecofolio qui a eu lieu l’été dernier. Eco-Emballages a été le premier éco-organisme créé en France. Un éco-organisme est une société privée investie d’une mission d’intérêt général par les pouvoirs publics, en l’occurrence la collecte, le tri et le recyclage des emballages ménagers. Depuis 1992, cette société sous agrément de l’État s’est invitée dans nos vies pour devenir l’un des acteurs majeurs de l’économie circulaire. Vous êtes forcément un jour tombé sur leur logo où deux flèches vertes s’entrelacent comme le Yin et le Yang pour vous inviter à recycler un emballage. Spécialisée dans les emballages, l’entreprise a été rejointe par d’autres acteurs dédiés à différentes filières comme le textile, les médicaments ou les piles.

C’est chez Ecofolio, éco-organisme qui pilote le recyclage du papier, que Frank Gana entrera en 2012 après avoir roulé sa bosse dans le milieu start-up. De son propre aveu, il s’est dirigé vers l’économie circulaire parce qu’il cherchait « quelque chose qui soit plus en accord avec mes valeurs ». Lors de la fusion en juin dernier d’Ecofolio avec Eco-Emballages, Frank se retrouve au poste de Chief Digital Officer du nouvel acteur. « Ma feuille de route chez CITEO est divisée en 2 parties », explique-t-il d’une voix posée. « Une partie très traditionnelle pour un CDO, consistant à transformer l’entreprise pour qu’elle soit plus agile, plus orientée vers ses clients et plus résiliente dans un monde qui bouge de plus en plus. Et puis il y a un deuxième sujet qui tient au fait que nous sommes une société sous agrément de l’état, une non-profit en situation de monopole. Chose particulièrement intéressante dans la mission de CDO d’une telle entreprise, c’est qu’en plus de la mission de transformer l’entreprise de l’intérieur, on se doit d’accompagner toute une filière dans sa transformation et sa modernisation. » Un challenge qui réjouit Frank par sa nouveauté. Il s’agit d’un cas de figure qui est très peu documenté et qui le force à beaucoup inventer en cours de route. Même après 25 ans d’existence, CITEO possède aux yeux de Frank des points communs avec une start-up. « Malgré ses 700 millions d’euros de chiffre d’affaires, l’entreprise ne compte que 250 salariés. Cela reste à l’échelle d’une start-up… ou d’une grown-up. » La grande différence vient de l’impact que peut avoir CITEO sur l’ensemble d’une filière, avec la mission d’influer de manière positive sur la vie des générations futures. « Quand on parle de quête de sens, c’est difficile de faire beaucoup mieux », lance Frank en souriant « Du moins de mon point de vue. » Si les deux sociétés ont fusionné l’été dernier, c’est pour mieux conjuguer contrainte environnementale et croissance économique. « Quand on parle de contrainte environnementale, il y a les adeptes de la décroissance, et il y a ceux qui se demandent si le monde économique peut véritablement se payer l’effort de répondre à ces contraintes. » Frank réfute ses postulats. Pour lui, les enjeux sont assez importants pour que les acteurs économiques s’engagent : « Le défi, c’est transformer une contrainte en opportunité », observe Frank, « et que l’un se nourrisse de l’autre. Mais pour cela, il faut inventer de nouveaux mécanismes de régulations et de nouveaux modèles économiques. En deux mots : il faut innover. »

 

L’écosystème de l’économie circulaire

Pour Frank, qui a vécu les débuts de l’écosystème start-up en France, observer la progression de l’économie circulaire donne une impression de déjà vu. « Cela ressemble très fort à l’écosystème des start-up à la fin des années 90 », raconte-t-il. « C’est-à-dire pas très structuré… On sent que ça frémit, il y a de plus en plus de cash qui rentre, beaucoup de fonds d’impact se créent… » Bien sûr, ce n’est pas aussi tranché. L’économie circulaire bénéficie des avancées de ces 20 dernières années, durant lesquelles l’environnement juridique a beaucoup évolué, avec par exemple la naissance de la SAS, ou des Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise.

Aujourd’hui, plus de professionnels savent gérer la propriété industrielle et les pactes d’actionnaires dans un monde de start-up. Mais le secteur de l’environnement, où la culture des start-up est peu développée, attire encore peu ce genre de profils. Il reste beaucoup de choses à défricher, comme en 1998, « sauf que la frustration est plus grande, car nous savons maintenant que tout pourrait aller beaucoup plus vite !, remarque Frank. Il n’y a pas encore cette notion de fulgurance que l’on peut retrouver dans le monde traditionnel des start-up. » L’écosystème est toutefois très différent de celui de l’IT ou des médias, où les « effets d’échelle et de réseaux » sont bien plus importants que dans une filière industrielle. Les ratios de financement et les niveaux d’exits sont différents. Les repères ne sont pas les mêmes non plus : on parle moins de visiteurs et de life time value, mais plus d’EBIT (Bénéfice avant intérêts et impôts), de CAPEX (de l’anglais capital expenditure, ou dépenses d’investissement) et d’immobilisations, c’est-à-dire de dépenses qui ont une valeur positive sur le long terme. Au final, l’une des vraies singularités du secteur se situe dans l’intégration de KPI (indicateurs de performances) qui sont externes à l’entreprise. L’économie circulaire n’utilise ainsi pas uniquement des KPI mesurant l’impact financier (mon entreprise est-elle rentable ?), mais aussi des KPI évaluant l’impact sur la société ou sur l’environnement (mon entreprise diminue-t-elle le taux de CO2 s’échappant de ses usines ?).

L’écosystème autour de cette économie se construit petit à petit, avec ses propres spécificités, conscient de sa propre jeunesse, tout en bénéficiant de certaines des avancées IT, comme l’intelligence artificielle. Le volet chimie du secteur profite aussi des nouvelles technologies, lorsqu’il faut par exemple « hacker des bactéries ou de l’ADN pour créer de nouveaux matériaux. » C’est justement ce que Frank trouve de plus excitant dans sa mission : piocher dans les autres secteurs pour injecter de l’innovation dans l’économie circulaire. Du côté des financements de l’économie circulaire, il aura fallu attendre un élan philanthropique pour lancer la machine : « Depuis que Bill Gates a annoncé qu’il donnait une majorité de sa fortune à sa fondation pour faire avancer les sujets, de nombreuses personnalités fortunées ont pris le pas, comme Mark Zuckerberg ou Marc Benioff de Salesforce, générant un afflux massif d’argent, un intérêt d’ailleurs très vite repris en dehors de la philanthropie par le monde de la finance avec l’essor de “l’impact investment”. »

Le financement des start-up de l’économie circulaire est ainsi en train de prendre forme. Frank espère que les structures d’accompagnement suivront. En effet, il existe deux types de structures accompagnatrices : les généralistes, dont il faudrait adapter les best practices à l’économie circulaire pour mieux coller aux contraintes, aux risques et aux opportunités du secteur. Et les structures spécialisées dans l’entrepreneuriat social, comme MakeSense, plutôt branchée ESS. « Je n’ai rien contre l’ESS. Ces entreprises font un travail formidable, s’exclame le CDO de CITEO. Mais résumer l’économie circulaire à l’ESS, est un problème. » Il cite alors l’exemple de Carbios, entreprise cotée en bourse qui travaille dans le recyclage des plastiques en appliquant les biotechnologies à la plasturgie. Cette société créée en 2011 faisait déjà 12 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, après avoir passé plusieurs années en R&D. Carbios représente ainsi une belle démonstration du potentiel de l’économie circulaire. La start-up auvergnate a d’ailleurs été récemment choisie par L’Oréal pour industrialiser le biorecyclage de ses plastiques. Il est en effet difficile de les classer du côté de l’économie sociale et solidaire et d’imaginer comment un incubateur ESS pourrait les aider efficacement. S’il n’y a pas de spécialistes de l’accompagnement de l’économie circulaire aujourd’hui… CITEO pourrait bien en prendre le chemin sous l’impulsion de son nouveau CDO. La raison pour laquelle ce nouvel éco-organisme veut pallier ce manque est simple : CITEO veut être proactif et stimuler l’écosystème afin de générer un maximum d’innovation et de créativité à diffuser au plus vite chez ses clients. Les entreprises s’impliquent de plus en plus dans la défense de l’environnement, que ça soit par conviction, pour bénéficier d’un avantage concurrentiel ou par obligation de se plier à une réglementation de plus en plus sévère. Lego communique beaucoup sur le recyclage de leurs briques, H&M s’est fixé comme objectif à 5 ans que l’ensemble de leurs vêtements soient recyclés… « Tout le monde y va de son objectif, mais pour l’atteindre, il faut innover ! », s’exclame Frank. En apportant son soutien à cet écosystème, CITEO assure à ses clients un moyen sûr et efficace de sourcer l’innovation, en identifiant les start-up les plus prometteuses. Car pour être éligible à travailler avec Carrefour, Coca-Cola ou L’Oréal au niveau monde, un certain niveau d’industrialisation est requis !

 

Le Circular Challenge : Make our planet great again !

 

La France semble posséder toutes les cartes pour s’imposer comme l’écosystème de référence sur le domaine de l’économie circulaire. Frank Gana nous le confirme, la place de leader est encore à prendre puisqu’aucun pays ne domine le secteur : « Contrairement à d’autres verticales, comme les fintechs ou le hardware, il n’y a pas un écosystème géographique centralisant la majorité des innovations du secteur. Il y a donc une vraie opportunité à marquer des points, à différencier notre écosystème géographique des autres et à devenir l’écosystème de référence pour l’économie circulaire. » Pour lui, la forte prise de position du Président Macron face à Donald Trump avec son Make our planet great again! n’a pas été réalisée à la légère. Les États-Unis ou la Chine (les 2 pays les plus pollueurs) n’ont pas encore pris le leadership sur la transition environnementale. La France a donc encore toutes ses chances pour en prendre les rênes. L’un des moyens choisis pour mettre en valeur cet écosystème, c’est le Circular Challenge, événement qui s’est immédiatement positionné comme le plus grand concours de start-up autour de l’économie circulaire en Europe. Son objectif est de récompenser les entreprises à fort impact environnemental, que cela soit via la proposition de nouveaux matériaux pour produire des biens de consommation, ou grâce à la facilitation de la collecte des déchets par les particuliers ou les entreprises. Le concours attire aussi bien les start-up françaises qu’étrangères.

Cette année, le Circular Challenge s’est adossé à la Cité de la Réussite qui, depuis 1989 s’est imposé comme l’un des plus grands carrefours européens d’échanges et de débats intergénérationnels sur les thèmes essentiels de société. L’événement a ainsi eu lieu les 18 et 19 novembre dans les amphithéâtres de la Sorbonne et a rassemblé des décideurs de la vie politique, économiques et de la société civile. En tout, ce sont plus de 10 000 personnes qui sont venues écouter les tables rondes où se pressaient des chefs étoilés, des acteurs, des metteurs en scène, des patrons comme le PDG de Renault Carlos Ghosn ou l’économiste Jacques Attali. Parmi les 6 concepts innovants présentés, c’est la jeune entreprise Clean Cup qui a remporté le Challenge. Projet porté par Eléonore Blondeau, la jeune femme de 25 ans a convaincu le jury avec sa solution pour limiter l’utilisation de gobelets jetables. À découvrir sur clean-cup.com

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