INTRODUCTION

 

Il y a un malentendu autour de l’idée de réchauffement climatique, expression que nous n’aurions jamais dû utiliser pour qualifier cette situation d’urgence mondiale.

Je me souviens encore de ma première rencontre avec cette idée d’un réchauffement. J’étais un enfant qui passait toutes ses vacances avec ses grands-parents, partis sur la Côte d’Azur dès que l’heure de la retraite avait sonné. La chaleur était synonyme de vacances, de piscine, de glaces, de jeux en plein air et de longs moments à lire sur la terrasse au petit matin.

Qu’est-ce qu’il y aurait de mal au réchauffement du climat ? Ce n’était pour moi que la perspective d’un allongement de cette période agréable de l’année. « C’est pas génial de pouvoir faire un barbecue en février ? », m’avait lancé une connaissance devant un hiver particulièrement doux.

Dans ces conditions, la menace d’un réchauffement climatique avait des airs de promesse.

Utiliser l’expression de réchauffement pour désigner la crise climatique, ce serait comme de désigner les réfugiés yéménites comme étant des vacanciers de longue durée : cela ne capture absolument pas la gravité de la situation.

Comment pourrions-nous être surpris du manque de mobilisation pour combattre ce réchauffement climatique ?

Il y a aussi une contradiction avec notre idée du progrès.

Notre société est basée sur une idée de croissance perpétuelle. Une entreprise en bonne santé, c’est une entreprise en croissance. Un pays en bonne santé, c’est un pays en croissance. Il faut produire toujours plus, quitte à devoir exporter par avion ou bateau, ou à devoir mettre le trop plein à la poubelle. On exploite donc les ressources sans relâche et sans prendre de distance sur les effets futurs de notre mode de consommation.

Pour répondre aux enjeux de la crise climatique, il va falloir questionner l’entièreté du modèle sur lequel nous avons bâti notre civilisation. On nous a promis le plein emploi, la possibilité de se déplacer en toute liberté sur nos autoroutes à quatre voies, la perspective d’aller au bout du monde en avion, de manger à satiété tous les aliments qui nous donnent envie, en toutes saisons. Sommes-nous prêts à renoncer collectivement à certains conforts ? Même si c’est la condition sine qua non pour espérer la survie de notre espèce à moyen et long terme.

Et enfin, il y a une question d’ego, parce qu’il y a toujours une question d’ego.

Et nous allons parler ici de la plus grande blessure narcissique qui frappe l’être humain. Nous sommes des animaux. Nous descendons directement du singe et nous partageons encore 98,5% de notre ADN avec le chimpanzé. Il n’y a plus aucun doute et pourtant… nous faisons tout pour renier cette origine.

La théorie de l’évolution n’est plus une théorie… et pourtant, de nombreux courants s’opposent encore à celle-ci et tentent d’imposer l’enseignement du créationnisme dans les écoles américaines.

Les mythes et religions ont toujours tenté de garder le caractère sacré de l’être humain, créé à l’image de Dieu. Nous ne voulons pas entendre que nous sommes issus de la Nature. Nous cachons notre animalité derrière des vêtements, à l’intérieur de nos maisons, derrière des titres de propriété. Nous ne sommes pas issus de la Nature, nous possédons la Nature.

Une déconnexion profonde s’est creusée avec la Nature, nous donnant le sentiment qu’elle est là pour satisfaire tous nos besoins, même les moins raisonnables.

Tout cela amène une situation inédite, où nous sommes en guerre contre la Nature. Nous réalisons un génocide systématique de sa biodiversité (on a perdu 70% du vivant en 40 ans), une destruction méthodique de chaque centimètre carré de la planète.

Mais quand nous rendrons-nous compte qu’il s’agit d’une guerre que nous ne pouvons pas gagner ? La planète semble posséder un puissant système d’auto-défense. Si nous continuons dans cette voie, la Nature va rendre les conditions invivables pour l’être humain, jusqu’à causer notre disparition. La planète est là depuis des milliards d’années, elle le sera encore pour des milliards d’autres… c’est juste l’être humain qui n’y sera plus.

 

« Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. »
Cette phrase attribuée à Einstein a de quoi inquiéter quand on connaît la vitesse avec laquelle les colonies d’abeilles sont en train de s’effondrer.
L’ours polaire, le tigre, l’éléphant d’Asie, le guépard, le renard, l’albatros… sont toutes des espèces en voie de disparition.
Et si le dernier animal en voie de disparition dans cette liste… c’était l’être humain ?

L’humanité en tant qu’espèce en voie de disparition. Cela devrait avoir l’effet d’un électrochoc sur les consciences. Mais non ! Le fait est qu’en laissant toutes ces espèces disparaître, je crois que nous avons perdu une part de notre humanité.
Nous n’avons pas plus d’empathie pour les orangs-outans, exterminés par la destruction de leur habitat, que pour nos propres enfants et petits-enfants qui devront payer la note de notre surconsommation des ressources.

Je n’ai pas envie de dire qu’il est encore temps parce que cela semble presque donner une bouffée d’air… Non, il est presque déjà trop tard.

C’est ce qui a inspiré la phrase mise en exergue sur la couverture de ce magazine : « il est trop tard pour ne rien faire »… mais aussi ce choix d’illustration où vous verrez tour à tour une explosion atomique ou un arbre gigantesque. 

La planète est source d’émerveillement, tout en renfermant le potentiel de devenir source de souffrance. Une contradiction parfaite.

Le débat ne devrait ainsi pas être de sauver la planète… La planète se portera très bien lorsqu’elle se sera débarrassée du seul animal à mettre en péril son équilibre. Le seul animal à prendre plus que de raison à la planète sans se soucier des conséquences. Si nous devons sauver quelque chose, c’est nous-mêmes. Nos poumons, notre survie, notre existence dans un monde bientôt devenu hostile.

Si c’est une guerre… c’est une guerre qu’on ne pourra gagner qu’en étant le moins agressif possible. Parce que la réalité, c’est que plus nous allons attaquer la Nature, plus les conséquences seront dramatiques pour l’être humain.

 

Dans ce numéro

#6

Nicolas Hulot

“L’État n’a pas le temps de faire émerger un nouveau modèle de société. »

Corinne Lepage

La Justice : une arme décisive au service du climat

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