ENVIRONNEMENT

Les Jeunes et le Climat:
portrait d’une génération sacrifiée

 

par Victorine Alisse

Introduit par l’adolescente suédoise Greta Thunberg en août 2018, le mouvement de grève scolaire pour le climat s’étend dans le monde entier. Manifestations, blocages, signature de manifestes : l’engagement individuel et collectif est la pierre angulaire de cette génération climat. Rencontre avec des jeunes bien décidés à faire bouger les lignes.

TERRA INCOGNITA #6  CLIMAT, IL EST TROP TARD POUR NE RIEN FAIRE

En août 2018, une jeune fille de 15 ans s’installe sur les marches du Riksdag, le parlement suédois, alors que tous ses camarades sont sur les bancs de l’école. Elle a décidé de faire grève. Sa volonté ? Protester contre l’inaction globale de son gouvernement face au changement climatique et demander au Premier ministre de se conformer à l’Accord de Paris. Aujourd’hui, ils sont des milliers à suivre son exemple aux quatre coins du monde : le mouvement de « grève scolaire pour le climat » est né.

Greta Thunberg, à l’origine de la grève scolaire pour le climat

L’idée est venue à Greta suite à la protestation des lycéens survivants quelques jours après la fusillade de Parkland (Floride) du 14 février 2018. Ils avaient décidé de s’absenter de classe pour interpeller sur le danger représenté par les armes à feu aux États-Unis. Elle décide de les imiter pour alerter sur les danger des changements climatiques et, rapidement, l’action de cette jeune suédoise se réplique à l’étranger en inspirant d’autres écoliers, lycéens et étudiants. Et pour cause : son implication sur les réseaux sociaux et ses prises de parole percutantes à la COP24 en Pologne et au Forum économique mondial de Davos marquent de nombreux esprits. Vipulan Puvaneswaran, que nous avons rencontré à la veille de l’intervention de Greta à l’Assemblée nationale, fait partie des jeunes qui l’ont imitée. Très impliqué dans l’organisation de cet événement avec le collectif Youth For Climate, il raconte son parcours.

 

L’engagement de Vipulan

Vipulan Puvaneswaran, 16 ans, a commencé par s’engager en signant des pétitions en ligne avant de rejoindre le conseil des jeunes de sa ville, Marly-le-Roi. Dans son lycée, il propose la mise en place d’un plat végétarien une fois par semaine. « Les professeurs étaient plutôt partants, contrairement à l’administration et au proviseur », précise-t il. « C’est vraiment l’arrivée de Greta Thunberg à Paris le 22 février qui m’a donné envie de la suivre. J’ai pris cette décision sur un coup de tête. C’était ma première grève pour le climat », explique Vipulan. Depuis, il est devenu membre du collectif Youth For Climate, ambassadeur de Little Citizens For Climate, une association de sensibilisation principalement centrée sur l’éducation au climat et a participé à l’organisation de grèves ainsi qu’à des actions de désobéissance civile. « En France, Youth For Climate n’a pas de leader. Notre organisation est horizontale. On s’appuie sur la cohésion d’un grand nombre de personnes, c’est ça notre force ! », tient-il à rappeler avec conviction. « Le 14 juillet, lors des assises nationales du, collectif nous avons bloqué pendant toute une journée le plus grand McDonald’s de Bordeaux. » Pour ce lycéen, ce qui compte, c’est la diversité des modes d’actions. Clean walk pour nettoyer les rues de la ville, blocages, sensibilisation, plaidoyer, marches et Light off pour éteindre les enseignes lumineuses de nuit, les idées du collectif Youth For Climate sont nombreuses.

Quand on lui demande pourquoi la mobilisation des jeunes est si forte aujourd’hui, il répond que c’est parce qu’« il y a vraiment une urgence. On ne peut pas rester sans agir car notre avenir est en jeu. Le collectif Youth For Climate est une porte d’entrée pour tous les jeunes qui veulent s’engager dans l’écologie. Par le biais de ce collectif, beaucoup d’entre eux ont commencé à agir au niveau individuel pour ensuite faire du lobbying localement », complète-t-il avant de rappeler leur objectif : demander de nouvelles actions pour le climat et l’environnement au niveau national, européen et international. Pourtant, malgré toutes ces initiatives, Vipulan déplore une inaction des politiques : « Les actions individuelles comptent mais ça ne suffit pas du tout, ça ne suffit plus. Il faut des actions de plus grande envergure. Les mots c’est bien mais maintenant, il faut agir. L’urgence est plus que jamais là. Et pourtant, on continue d’aller dans le mauvais sens », confie-t-il. Soutenu par la paléoclimatologue Valérie Masson Delmotte, il rappelle notamment le rôle de l’éducation nationale de sensibiliser à ces enjeux climatiques. « Elle est inexistante. Je passe en première et on ne m’a jamais appris ce qu’est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ni comment on peut agir concrètement », souligne Vipulan. Pour ce lycéen qui rêve de devenir chercheur en biologie ou climatologie, « il faut contraindre les acteurs politiques et économiques à agir et ainsi créer le monde dans lequel on veut vivre. »

Une mobilisation mondiale et historique

Ce mouvement des jeunes pour le climat, né en Europe, prend très rapidement de l’ampleur. Le 15 mars 2019, plus de 1,4 million de jeunes ont défilé dans 125 pays et 2083 villes selon le site Internet Fridays For Future. Cette mobilisation universelle est une première dans l’histoire. Même si les mobilisations sont moins importantes dans les pays en développement, elles n’en restent pas moins nombreuses. L’économiste Thierry Amougou rappelle que des facteurs comme la pauvreté, la misère, la faim, la guerre et la crise migratoire ne permettent pas à tous les jeunes de se lancer dans la lutte contre le changement climatique. Pourtant, certains jeunes ont décidé de s’emparer du sujet. En Ouganda, par exemple, Nakabuye Hilda Flavia, 20 ans, encourage chaque semaine les étudiants à faire la grève dans le cadre des Fridays for Future. Depuis novembre 2018, ce mouvement a été suivi dans 18 pays africains. Bien avant la médiatisation de Greta, Ellyanne Wanjiku Chlystun militait dès son plus jeune âge pour la protection des arbres au Kenya.

Pour les étudiants, le constat est le même : la situation actuelle n’est plus possible. En année de césure à l’ENSTA Paris (École nationale supérieure de techniques avancées), Lalie Ory a signé et même contribué au manifeste pour un réveil écologique, mis en ligne le 26 septembre 2018. « Celui-ci est né au plateau de Saclay. Plusieurs étudiants ont pris l’initiative de se rencontrer pour échanger sur les thématiques environnementales. Ils se sont rendus compte qu’il y avait un besoin d’exprimer un certain nombre de constats et de revendications », explique Lalie Ory.

Objectifs : actions concrètes des entreprises et évolution des programmes de l’enseignement supérieur

Pour elle, les étudiants qui ont signé le manifeste sont vraiment prêts à remettre en question leur zone de confort, quitte à ce que cela implique un changement radical. Leur souhait ? Voir les entreprises placer « les logiques écologiques au cœur de leur organisation et de leurs activités » et les programmes de l’enseignement supérieur intégrer les enjeux climatiques. D’ailleurs, dans un rapport publié en mars 2019, The Shift Project, qui se définit comme un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, souligne l’intérêt croissant des étudiants pour les enjeux environnementaux. La signature du manifeste pour un réveil écologique par plus de 30 000 étudiants en est une illustration. Lalie qui confie avoir été sensibilisée à la protection de l’environnement grâce aux films de Hayao Miyazaki est responsable de la partie du manifeste dédiée à l’enseignement supérieur. « Comment pouvoir intégrer les enjeux environnementaux à travers chacun de nos métiers ? Telle est la question à laquelle les programmes de l’enseignement supérieur devraient pouvoir répondre », explique-t-elle. Mi-septembre, les étudiants qui souhaitent que les enseignements proposés soient revus auront accès à une plateforme enseignement composé d’outils méthodologiques pour les aider à concrétiser leurs démarches auprès des administrations.

Matisse Faust, impliquée dans les relations avec les entreprises au sein du manifeste, précise que le rôle de ce dernier est aussi « de faire prendre conscience aux étudiants que leur travail est un levier de transition écologique et les encourager à se poser les bonnes questions pour analyser les stratégies environnementales des potentiels employeurs ». L’un des projets en cours est de proposer une grille de lecture aux étudiants afin de mieux comprendre leur employeur et de pouvoir exercer un choix éclairé. Lalie ajoute que pour être écoutés et agir, il est nécessaire d’avoir un langage commun entre parties prenantes. Par exemple, dans l’enseignement supérieur, ce sont les heures de cours disponibles, le nombre de crédits ECTS et les compétences développées qui sont à prendre en compte lors de la discussion. De même, en entreprise nous pouvons évoquer « la rentabilité et la productivité, par exemple. L’idée c’est de questionner le pourquoi, le comment, pour que les étudiants et jeunes diplômés puissent être écoutés et agir » avant de conclure qu’ « une partie de la jeunesse aujourd’hui questionne le besoin et la consommation afin de retrouver une sérénité dans une vie plus simple ». Alors que certains médias ont évoqué une forme de boycott de certains étudiants, refusant de réaliser leur stage de fin d’année au sein d’entreprises polluantes, le manifeste encourage plutôt à une réflexion, un dialogue entre ceux-ci et les entreprises. Pour sa part, Lalie a l’impression de « faire un sacrifice et non un travail. On donne de notre temps et on ne verra pas forcément le fruit de tous ces efforts ». Cette génération a fait le choix de se battre pour la protection de l’environnement, quitte à sacrifier sa carrière ou son confort.

Écoliers ou étudiants, peu importe, la frustration est bien présente. « Je reste optimiste mais il y a des moments où c’est déprimant car on ne voit pas le résultat des actions », confie Vipulan. Pour Lalie, qui a décidé de ne plus prendre l’avion, on pourrait même parler d’une « génération sacrifiée » : une génération qui doit apprendre à se priver. Elle doit faire face à l’irresponsabilité de ses aïeux avec ce sentiment : « on lègue une situation catastrophique aux prochaines générations. »

« Les actions individuelles comptent mais ça ne suffit pas du tout, ça ne suffit plus. Il faut des actions de plus grande envergure. »

Dans ce numéro

#6

Nicolas Hulot

“L’État n’a pas le temps de faire émerger un nouveau modèle de société. »

Corinne Lepage

La Justice : une arme décisive au service du climat

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