ENVIRONNEMENT

Il est possible de nourrir l’ensemble de la planète avec une alimentation bonne pour le climat

 

par Valentin Pringuay

Le secteur agricole et alimentaire est responsable de 30% des émissions de gaz à effet de serre en France tout en étant le premier facteur d’effondrement de la biodiversité.

TERRA INCOGNITA #6  CLIMAT, IL EST TROP TARD POUR NE RIEN FAIRE

Pour Caroline Faraldo, experte agriculture et alimentation à la Fondation Nicolas Hulot, le secteur est une partie du problème… mais aussi une partie de la solution : « Il y a plusieurs niveaux et leviers d’actions sur lesquels agir. Il y a bien sûr le niveau individuel, ce qui est intéressant dans l’alimentation : on peut vraiment agir au niveau personnel afin de faire bouger les choses… mais ça ne sera pas suffisant car c’est un problème global, il faut donc que les politiques publiques se transforment. »

 

Levier 1 : La restauration collective

Depuis plus de 10 ans, de nombreuses ONG (dont la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme), se battent pour que la restauration collective change. « La restauration collective est très spécifique en France car elle représente la majorité de nos repas extérieurs… il s’agit donc à la fois d’un levier de justice sociale très fort et d’un levier de transformation des systèmes agricoles et alimentaires. »

Avec 4 milliards de repas servi par an, la restauration collective est perçue comme un levier extrêmement fort de changement au niveau territorial, que ce soit dans les écoles, universités, hôpitaux, EHPAD, cantines d’entreprise, etc.

« Nous voulons que la restauration collective soit vécue comme un outil de démocratisation de la bio », proclame Caroline.

Alors que manger bio peut continuer de coûter plus cher, l’objectif est de proposer un repas bio pour les enfants de toutes les classes sociales, mais aussi les malades ou personnes âgées.

« Cela permet de le rendre accessible, explique-t-elle. Mais cela permet aussi de sensibiliser… car tout cela s’accompagne de pédagogie avec l’idée de ramener ce discours dans les familles pour susciter une envie d’alimentation durable. » 

La Fondation fait tout depuis des années pour introduire des objectifs chiffrés dans les politiques publiques. La loi Grenelle avait introduit un premier objectif d’introduction d’au moins 20% de bio en restauration collective en 2012 : « Cela n’a jamais eu lieu », se lamente-t-elle. 

Le nouvel espoir vient de la loi alimentation qui prévoit au moins 50% de produits de qualité (dont 20% de bio) d’ici à 2022 dans toute la restauration collective.

« Il faut maintenant se battre pour que ce soit une réalité », lance Caroline avec une force qui confirme sa vigilance pour ne pas perdre de terrain dans ce combat au long cours.

L’espoir de respecter cet objectif des 20% en 2022 sur l’ensemble de la restauration collective semble pourtant une nouvelle fois bien mince : le compteur est actuellement bloqué à 3% de bio. 

Certains territoires arrivent pourtant à prouver que cela est possible. C’est le cas de Grande-Synthe, dans le Nord, où l’on affiche 100% de bio en restauration collective depuis des années.

Mais cet exploit n’est pas donné à tout le monde : le maire de Grande-Synthe, Damien Carême, était le numéro 3 sur la liste Europe Écologie Les Verts lors des dernières élections européennes. Dans le reste du territoire, il manque souvent des moyens, et surtout de la volonté politique.

Pour outiller les gestionnaires de restaurants collectifs, la Fondation s’est associée à Restau’Co (réseau interprofessionnel de la restauration collective) pour proposer une prime à l’investissement pour les acteurs de la restauration collective. Ils ont aussi développé un programme nommé « Mon Restau Responsable »,  qui accompagne le secteur dans la mise en place de plans d’actions et d’objectifs.

 

« Nous voulons que la restauration collective soit vécue comme un outil de démocratisation de la bio »

Levier 2 : Faire évoluer l’agriculture et notamment l’élevage

S’il n’est pas question d’imposer un régime végétarien à l’ensemble de la population, en revanche les experts semblent unanimes : il faudra réduire drastiquement notre consommation de viande.

Parmi les gaz à effets de serre produits par l’agriculture, le méthane et le protoxyde d’azote ont tous deux plus d’impact que le CO2.

Le méthane est majoritairement produit par l’élevage (et notamment lors de la digestion des ruminants), alors que le protoxyde d’azote provient des engrais de synthèse (dont on se sert aussi beaucoup pour produire la nourriture de nos élevages).

« On en entend peu parler, lance Caroline Faraldo. Mais la fertilisation azotée de synthèse est émettrice de près de 50% des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole. »

Les deux leviers d’actions principaux sont ainsi la réduction de notre consommation de viande et la désindustrialisation du domaine agricole.

Concernant le premier levier, notre consommation quotidienne de protéines est de 90 grammes et dépasse largement les recommandations de 52 grammes. Il est donc indiscutable que nous sommes en mesure de réduire notre consommation de protéines.

Mais encore une fois, le discours n’est pas anti-élevage, mais plutôt pour la réduction le nombre de têtes de cheptels et de les élever avec des pratiques respectueuses de l’environnement. 

De ce côté-là, Caroline vante les mérites de l’élevage herbager où on laisse les animaux déambuler sur une prairie et se nourrir d’herbe : « c’est ce qui va permettre de garder des corridors écologiques, de conserver des prairies, car les prairies naturelles, qu’elles soient temporaires ou permanentes sont extrêmement importantes pour la biodiversité, pour stocker le carbone ou pour préserver des auxiliaires qui concourent à la réduction des pesticides sur  les cultures aux alentours. Elles présentent aussi des pesticides et fertilisants naturels, donc c’est très important de voir l’élevage comme un moyen de conserver, préserver et ramener de la prairie en France. » 

Manger moins de viande n’est pas uniquement l’affaire d’une réduction de la consommation de protéines, mais aussi de remplacer les protéines animales par des protéines d’origines végétales. En effet, les légumineuses (pois, pois cassés, lentilles, etc.) sont sources importantes de protéines, elles sont donc à consommer sans modération, notamment en les associant à des céréales. Les légumineuses ont un autre atout climat majeur : elles permettent de fixer l’azote dans le sol, d’améliorer la fertilité du sol et donc d’éviter l’apport d’engrais de synthèse, à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre importants. 

Le secteur agricole peut ainsi être considéré comme un puits de carbone : moins on artificialise les terres et plus on fait appel à l’agro-foresterie par exemple, plus on peut absorber les émissions négatives du secteur agricole.

Loin de nous l’idée de faire croire que c’est aussi simple que cela. Il faut faire évoluer les politiques publiques pour encourager à adopter ce mode de fonctionnement. En parallèle, la PAC (Politique Agricole Commune), mise en place par l’Union Européenne pour développer l’agriculture, continue de subventionner à la surface et non à la production. La FNH milite donc pour repenser le calcul des aides, aujourd’hui basé sur le nombre d’hectares cultivés, pour rajouter une subvention pour service environnemental, pour service rendu aux écosystèmes : « On sait que les éleveurs herbagers refont les berges, replantent des haies et les entretiennent. C’est un travail énorme et il faut qu’il soit rémunéré et reconnu, en tant que bienfait, service rendu à la nature par les agriculteurs. »

On ne peut qu’espérer voir un jour arriver un encouragement à la qualité plutôt qu’à la quantité.

Abandonner l’élevage industriel en même temps que les engrais et pesticides de synthèse, voilà un discours que l’on peut rapidement taxer d’utopiste, d’irréalisable ou même de dangereux.

Des organismes très sérieux comme l’IDDRI (l‘Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) vont pourtant dans ce sens en modélisant les systèmes agricoles du futur avec une agriculture qui soit à la fois bonne pour la biodiversité et pour le climat.

Pour atteindre cet objectif, l’IDDRI propose un modèle avec une réduction de 40% des têtes de cheptel pour 2050, tout en conservant la possibilité de nourrir les 530 millions d’Européens de manière équilibrée (en utilisant uniquement des engrais et pesticides naturels).

Même conclusion pour The Lancet, célèbre revue scientifique anglaise officiant depuis 1823 : il est possible de nourrir l’ensemble de la planète avec une alimentation bonne pour le climat.

« La trajectoire existe, exulte Caroline Faraldo. La vision est là : on sait que l’on peut limiter le réchauffement à 1,5°C et arriver à un renouvellement de la biodiversité. » 

Levier 3 : Quand l’action individuelle devient lobby citoyen

« J’insiste beaucoup sur les politiques publiques parce que c’est ce qui va nous permettre de sensibiliser et massifier la sensibilisation. Mais il ne faut surtout pas arrêter les comportements individuels. À partir du moment où chacun décide de diminuer sa consommation de viande, ça va aussi avoir un impact sur les politiques publiques : les deux vont ensemble. »

En effet, quand nous parlons des actions individuelles des citoyens, nous avons souvent tendance à oublier la pression qu’elles mettent sur les politiques publiques et sur les entreprises.

Si vous appréciez la viande mais que vous décidez de devenir végétarien par souci environnemental : l’impact positif de cette action est négligeable, c’est une goutte d’eau dans un océan de viande. Cela pourrait même en être décourageant. 

Pourtant, une personne végétarienne va sensibiliser son entourage même sans avoir besoin d’essayer de les convaincre. Le simple fait de ne plus manger de viande pourra les amener à se questionner sur leur propre consommation. Cela leur prouve qu’une autre alimentation est possible. Et même si la conversion est lente, le fait que les végétariens et flexitariens sont de plus en plus nombreux en France (dépassant les 5% de végétariens ou végétaliens et 30% de flexitariens) pousse les entreprises à proposer de plus en plus de produits de remplacement. C’est l’exemple de la marque Herta (groupe Nestlé) qui s’est fait connaître par la charcuterie et les saucisses Knacki et qui propose aujourd’hui tout une gamme de produits de substitution à la viande (même s’ils le font parce qu’il y a du profit à la clef et que de nombreuses marques bien plus éthiques proposent de meilleurs produits, moins transformés). 

Cette évolution de la consommation d’une part croissante de la population apporte également un argument de poids lorsque l’on discute de la nécessité de proposer des alternatives végétariennes en cuisine. Les citoyens arrivent donc petit à petit à faire pression sur les politiques publiques et les entreprises. 

Au-delà de ce « vote par le portefeuille », les citoyens peuvent faire pression de manière beaucoup plus marquée en participant au lobbying citoyen.

Si le mot lobby est souvent associé à de méchants industriels qui modèlent les lois avec leur porte-monnaie, il recouvre aussi une autre réalité. Le lobbying c’est aussi la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme qui aide à modeler des lois environnementales, et cela peut aussi être le lobby citoyen qui choisit de faire pression sur ses élus pour les guider dans la bonne direction. 

Pour rejoindre ce genre d’initiatives, il est possible de se rapprocher de nombreuses associations spécialisées dans la mobilisation des citoyens au travers d’action auprès des élus locaux (envoi de courrier, mails, questions sur ces sujets lorsqu’ils organisent des rencontres avec leurs administrés, etc.)

On pensera notamment aux groupes locaux de Greenpeace ou bien Alternatives Territoriales, campagne portée par Alternatiba, ANV-COP21 et le Réseau Action Climat. Et force est de constater que cela fonctionne puisque les lois portées par ces mouvements citoyens se multiplient. Caroline commente :

« Depuis très longtemps malheureusement, la loi n’est pas préfiguratrice. Et si une loi passe, il faut aussi être vigilant pour ne pas avoir de lois sans sanctions… avec de nombreuses dérives. »

Dans ce numéro

#6

Nicolas Hulot

“L’État n’a pas le temps de faire émerger un nouveau modèle de société. »

Corinne Lepage

La Justice : une arme décisive au service du climat

Voir l’intégralité du somaire

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