ENVIRONNEMENT

« Si le secteur automobile se transformait, il pourrait entraîner tous les autres. »

 

par Valentin Pringuay

« Si on prend les conflits depuis le début du quinquennat Macron : on a eu les grèves SNCF, ensuite les gilets jaunes, la menace constante des transporteurs routiers, le refus de voir monter les taxes dans l’aérien… à chaque fois, on est sur des questions de mobilité », explique Marie Chéron, experte mobilité à la Fondation pour la Nature et l’Homme.

TERRA INCOGNITA #6  CLIMAT, IL EST TROP TARD POUR NE RIEN FAIRE

Le sujet de la voiture est épineux et, au-delà des solutions technologiques, chevillé à l’idée que les Français se font de la liberté. Proposer des véhicules électriques ne suffira pas, il faudra repenser notre conception de la mobilité. 

« Dans la lutte contre le changement climatique, la première chose à combattre c’est nous-mêmes, dans nos représentations, dans nos façons de faire. »

 

Levier 1 : Transformer le secteur automobile. 

« Si le secteur automobile se transformait, il pourrait entraîner tous les autres. »

Derrière cette grande déclaration de Marie Chéron, il y a une réalité historique enracinée au plus profond de l’humanité. En effet, tous les grands changements de civilisation se sont fait autour de questions d’énergie et de déplacements.

La voiture ayant une place prépondérante dans la façon dont nous avons organisé notre vie et nos territoires, le secteur automobile est aujourd’hui à la base de nos modes de développement et de nos modes de vie. 

« Ce secteur est encore très ancré dans le 20e siècle », explique Marie Chéron. « Il est très ancré dans un mode de développement qui s’appuie sur les carburants fossiles et sur une vision productiviste : le nombre de voitures qu’on sort, avec une croissance exponentielle et infinie. »

Ce sont presque 100 millions de véhicules qui sont ainsi produits chaque année sur la planète. Et la prime à la conversion offerte par le Ministère de la transition écologique et solidaire n’est pas une solution pour Marie pour une raison simple : elle accélère le renouvellement du parc automobile, sans faire disparaître les véhicules polluants. En effet, « tous les vieux véhicules de Volkswagen sont partis en direction de l’Afrique suite au Diesel Gate où, en plus, ils roulent avec du carburant qui est dégueulasse, du diesel frelaté (appelé “dirty diesel” si le diesel n’était pas assez “dirty” comme ça). »

Mais la France semble préférer investir pour l’achat de nouveaux véhicules : ça fait des points de PIB, de la croissance et contribue au moral des ménages.

Mais comme souvent, si la situation est loin des yeux, elle n’existe tout simplement pas. C’est l’exemple frappant de Carlos Ghosn (ancien PDG de Renault-Nissan) qui, auditionné par l’Assemblée nationale le 17 janvier 2018, affirmait : « nous n’achetons pas de cobalt », ce minerai extrait par des enfants dans des conditions de travail dangereuses.

Il se trouve qu’il y a bel et bien du cobalt dans les véhicules du groupe qu’il dirigeait, mais il est acheté par l’un de ses sous-traitants.

Ce n’est tout simplement pas acceptable de la part d’un géant comme Renault-Nissan que de rejeter la faute sur un fournisseur. C’est ainsi toute la chaîne de valeur de l’industrie automobile qui doit évoluer, et tout le secteur qui doit appliquer un devoir de vigilance à l’ensemble de ses filières.

En parallèle, les véhicules électriques semblent être une solution exemplaire pour une mobilité propre… une fois qu’ils sont sur nos routes.

La controverse découle de tout ce qui a amené ce véhicule sur la route. Il est difficile de considérer comme une solution écologique un véhicule qui contient des minerais extraits dans des conditions déplorables ou qui pollue énormément lors de la fabrication de ses batteries. 

Il faut repenser le rôle d’un constructeur automobile à chaque étape de la chaîne : de la construction et de l’assemblage, au concessionnaire qui vend le véhicule, aux personnes qui l’entretiennent, permettent leur recharge, installent des systèmes de stockage d’électricité dans les maisons, etc.

Ce sont tous les maillons de la chaîne de production automobile qu’il faut transformer.

Et tant que les entreprises ne se saisiront pas ce devoir de vigilance, le grand public et les ONG ne seront pas en mesure d’approuver pleinement ce virage. Dans le cas du cobalt, Renault-Nissan s’est engagé à renforcer  sa vigilance après avoir été pointé du doigt par Amnesty International il y a deux ans. Le suivi reste néanmoins insuffisant pour vérifier que ces promesses sont effectivement suivies des mesures adaptées.  

Et si on se concentre aujourd’hui sur les minerais utilisés dans la voiture électrique, c’est que la demande est en train d’exploser. Mais il ne faut pas oublier que ces matières premières sont déjà présentes dans nos voitures à carburant issu des combustibles fossiles, mais aussi dans nos smartphones et nos ordinateurs.

« Alors que la demande en ressource minérales est croissante, la responsabilité sociale et environnementale des multinationale doit devenir un vrai sujet de diplomatie internationale, à prendre en compte dans les accords de commerces, y compris avec la Chine où la majorité de ces minerais sont extraits. »

Il s’agit d’ailleurs de l’une des raisons pour laquelle les constructeurs européens capitalisent moins sur l’électrique : 40% de la valeur de ces voitures, c’est une batterie achetée un Asie. Il est ainsi plus rentable pour eux de vendre une voiture thermique.

La Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme soutient donc l’idée de construire des batteries en Europe à condition qu’elles soient vraiment moins polluantes, en réduisant notamment la composante en minerais problématiques et en favorisant l’éco-conception, condition d’un recyclage optimal. Plusieurs organisations considèrent d’ailleurs qu’il sera possible d’ici quelques années de se passer de cobalt pour fabriquer les batteries.  

Mais en attendant cette avancée technologique, « l’Europe pourrait tout à fait dire qu’elle ne veut plus importer de batteries dont la production ne respecte pas certaines normes environnementales », souligne Marie Chéron.

Les États ont donc un important rôle à jouer dans cette transformation. Pour Marie, cela devrait également passer par une fiscalité qui encourage l’achat d’une petite voiture plutôt que des SUV. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et cela explique que la courbe de poids des voitures augmente en France, les SUV représentant près de 40% de part de marché.

« Il semble qu’il soit aujourd’hui plus rentable pour les acteurs économiques d’investir sur des véhicules lourds type SUV… L’économie marche sur la tête », lance-t-elle désabusée. On produit donc en masse des SUV, qui ont en fait un impact environnemental beaucoup plus important. »

Le message est clair. Pour Marie Chéron, il faut tout repenser dans le secteur automobile : « À quel moment est-ce que ce secteur basculera vers la sobriété, vers une nouvelle économie portée sur le service rendu plutôt que sur le nombre de voitures vendues ? Nous n’avons pas besoin de véhicules de plus en plus gros mais de véhicules adaptés à nos besoins, et donc majoritairement plus petit. Comment faire pour que cette industrie reparte des besoins de la personne, des ménages, des familles ? Cette transformation est indispensable. C’est une question économique majeure pour notre siècle. » 

Dans la lutte contre le changement climatique, la première chose à combattre c’est nous-mêmes, dans nos représentations, dans nos façons de faire.

LEVIER 2 : Penser un nouvel aménagement du territoire 

 

L’aménagement du territoire constitue un deuxième levier majeur pour agir sur la question de la mobilité. La raison en est simple : le territoire a été aménagé pour la voiture. Réduire notre dépendance à la voiture nécessite de repenser notre environnement.

« Quand on se balade en France, explique Marie. On se rend compte que tout a été fait pour la voiture. »

Les Français ont une appétence pour les quartiers résidentiels, ils veulent souvent une maison avec un jardin, les appelant à s’exiler dans de lointaines zones résidentielles qu’il n’est possible de rejoindre rapidement qu’en voiture. Et si certains y aspirent, pour beaucoup il s’agit également d’un choix économique puisque le prix des logements pousse à s’éloigner des grandes villes.

Le choix était loin d’être un dilemme lorsque l’essence coûtait moins de vingt centimes le litre (ce qui était le cas jusque dans les années 1960).

Mais avec l’augmentation de son prix apparaissent des tensions causées par le choix des générations précédentes de vivre loin de l’emploi et des commerces. Pour aller travailler ou faire des courses, il faut impérativement une voiture. De grandes portions de la population se trouvent ainsi en état de dépendance face à un véhicule qui coûte de plus en plus cher à nourrir de cette énergie fossile que l’on sait limitée. Le symptôme le plus visible de cette crise, c’est le mouvement des gilets jaunes, qui s’est cristallisé autour d’une augmentation de la taxe sur le carburant. 

Mais si le territoire a été pensé autour de la voiture, comment l’aménager dans une ère post-pétrole ? 

« La problématique aujourd’hui est de refaire une ville sur la ville, affirme Marie Chéron. Il faut refabriquer nos territoires, remettre de la vie, remettre du service où il n’y en a pas. »

L’Histoire semble être un éternel recommencement et on cherche à nouveau à garder en vie les petits commerces, dits de proximité, qui évitent de prendre la rocade jusqu’à la vaste zone commerciale éloignée de toutes habitations.

Marie se rappelle d’ailleurs avoir fait ses recommandations au gouvernement : limiter l’étalement urbain, limiter la construction des surfaces commerciales, réduire la dépendance à la voiture.

« Le ministère nous avait alors répondu qu’il n’y avait pas de place pour des mesures aussi contraignantes : que la mobilité, c’est la liberté ! »

Penser un nouvel aménagement du territoire serait-il impossible ?

Les exemples existent pourtant avec de nombreux pays du nord de l’Europe qui sont polycentriques avec l’utilisation d’une gamme de transports beaucoup plus partagée entre le vélo, les transports collectifs et la voiture. 

« Ils ont cette autre organisation de l’espace avec la possibilité d’avoir des centres de coworking en périphérie. Nous, on est très loin d’avoir ça… on est pas du tout organisés pour ! Mais je peux vous le dire : s’il y avait des centres de coworking dans nos gares, il y aurait du monde… » 

Il y a donc un important besoin d’infrastructures pour favoriser de nouveaux usages. Marie donne l’exemple du vélo avec cette affirmation claire : « Quand on crée les infrastructures, les gens les utilisent. Et si vous construisez des pistes cyclables et qu’en plus vous ralentissez la vitesse des voitures, au final celui qui est dans sa voiture et qui attend pendant que les vélos passent… il se dit qu’il a peut-être intérêt à faire autrement ! »

Mais alors, qu’est-ce qui bloque l’action ?

« Aujourd’hui, la question de la mobilité est notamment portée par les communes », nous rappelle Marie Chéron. 

Ce sont elles qui peuvent modifier les règles de circulation, imposer des restrictions, réserver des voies et stationnements pour les véhicules à faibles émissions ou mettre en place un plan vélo… 

« Mais sur le terrain, changer les règles de circulation peut s’avérer parfois plus difficile… y compris électoralement. S’ensuit une partie de ping pong entre l’État et les collectivités.

« Si seulement l’État avait une vision, un vrai projet à proposer… Il pourrait aller gagner l’adhésion de ses services avec un projet d’avenir… avec, certes, des contraintes mais un projet et une direction assumée. Aujourd’hui, il n’y a pas de projet global, il n’y a pas de vision… on se contente d’arbitrer. »

Mais, pour l’experte de la Fondation Nicolas Hulot, la réinvention de l’organisation de nos territoires ne se fera pas sans questionner notre rapport au temps. 

En effet, notre société va de plus en plus vite. L’idée d’aller passer un week-end à New York ne fait pas suffisamment tiquer. 

« Il faut ralentir ! », plaide Marie.

Et si on ne peut pas interdire aux gens de prendre l’avion, on peut les pousser à la réflexion, avec l’objectif de réduire le nombre de voyage et de rester plus longtemps sur place pour « rentabiliser » le vol.

La problématique est la même avec les livraisons en 1 heure ou en 24 heures, qui surchargent les centres urbains de véhicules utilitaires légers à moitié vides pour répondre au besoin d’instantanéité dans la réception de nos achats. 

C’est la même chose avec la voiture : il faut modifier la manière de se déplacer pour favoriser la marche ou le vélo.

« Il s’agit de prendre le temps… de vivre autrement. »

 

Dans ce numéro

#6

Nicolas Hulot

“L’État n’a pas le temps de faire émerger un nouveau modèle de société. »

Corinne Lepage

La Justice : une arme décisive au service du climat

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