ECONOMIE SOCIALE & SOLIDAIRE

Jérôme Cohen

ENGAGE

Accélérer l’engagement citoyen

 

Interview, rédaction & photographies : Valentin Pringuay

 

TERRA INCOGNITA #04  S’ENGAGER POUR UN MONDE MEILLEUR

« Pour présenter Engage, je vais me présenter moi », déclare Jérôme Cohen, explicitant combien l’entreprise est étroitement liée à sa personnalité et à ses aspirations.

 

Un parcours de plus en plus aligné

« Je viens d’une famille assez artiste. Mon père était violoniste jusqu’à être directeur de l’orchestre de l’Opéra… et ma mère est antiquaire. J’ai fait un peu par hasard une école de business ainsi que des études de chant lyrique et de mise en scène. »

Il s’amuse à nous conter son curriculum vitae par le menu, évoquant son expérience pour la Warner : « manque de bol, c’était en 1996… lorsque Warner Classic a fermé ».

Il part ensuite travailler chez Elf Aquitaine, société d’extraction pétrolière. Si Jérôme est aujourd’hui clairement soucieux des enjeux environnementaux, il se félicite de cette expérience qui lui permet de ne pas juger rétroactivement ce qu’ont fait les gens.

Si l’homme au cheveux soigneusement en bataille et à la barbe de trois semaines semble droit dans ses baskets aujourd’hui, il confesse très tôt une part de schizophrénie dans son parcours :

« Parce que ce que je défendais dans ma vie personnelle… je ne le retrouvais pas du tout dans ce que je faisais professionnellement. »

Définitivement artiste et créatif, il fait notamment 10 années de conseil en stratégie où l’organisation est très hiérarchique, voire militaire.

Sur la fin de cette décennie, il se met d’ailleurs à mi-temps pour pouvoir se consacrer au chant lyrique, à la mise en scène et à la création de festivals.

Il participera alors à la création du Women’s Forum dont il a tenu le rôle de directeur. Pendant trois années, il contribuera à développer ce forum qui vise à faire progresser la place de la femme, mais aussi d’apporter une vision féminine du monde.

L’ensemble du parcours de vie de Jérôme Cohen semble donc résumé lorsqu’il nous explique avoir « progressivement essayé de trouver quelque chose qui m’allait mieux ». Ce « work in progress » perpétuel pour essayer d’aller toujours un peu plus loin vers un alignement avec ses valeurs.

 

Engage : savoir, savoir-faire & savoir-être

« Je pense que tout part d’une motivation fondamentale, s’exclame-t-il avec passion. C’est la volonté de travailler pour quelque chose qui nous dépasse. »

Il s’est alors très tôt mis à travailler sur sa motivation profonde qu’il décrit très simplement comme étant « ces questions d’innovation, de changement, de contribuer à un monde meilleur ou du moins d’améliorer un peu les choses. »

Le chemin n’a pourtant pas été simple. Il a ainsi planté sa première organisation.

Il explique : « Il y a 10 ans, quand tu arrivais dans un dîner et que tu parlais d’innovation sociale et de changement climatique, les gens ne savaient pas. Tu étais vu comme un baba cool, un couillon, un mec rêveur, ou même un type dangereux. »

Et si l’environnement n’était pas propice à cette première tentative, il partage aussi entièrement la responsabilité de cet échec en avouant qu’il n’était pas prêt à l’époque.

« Je n’avais pas fait cette démarche de changement personnel. Je n’avais pas assez de savoir, mon savoir-faire était un peu classique, peu innovant… et du côté du savoir-être : ma démarche n’était pas encore très ancrée personnellement. »

Le savoir, le savoir-faire et le savoir-être… les trois piliers sur lesquels Jérôme Cohen se repose quand il nous parle de la mission de l’Engage University.

« Ce sont des formations qui durent de 1 jour à 4 mois… ce sont des parcours transformatifs que nous proposons. »

Ce parcours va donc aider les participants à acquérir des savoirs : le savoir n’étant pas suffisamment partagé sur ces questions d’éthique, d’après Jérôme Cohen. Il s’intéresse aussi au savoir-faire pour les inspirer à faire les choses différemment, avec une bonne dose d’intelligence collective et de pratiques collaboratives.

Puis le savoir-être enfin, pour questionner sur la relation à soi et aux autres (en évoquant la capacité de créativité, la communication positive, etc.)

« Il faut faire raisonner ces trois niveaux, explique Jérôme. C’est fondamental. »

Le deuxième axe de travail de l’organisation, appelé « Engage Action Hub », a pour objectif d’accélérer des projets grâce à l’aide d’une communauté forte de 5000 femmes et hommes. Engage identifie ainsi des défis avant de se mettre en ordre de bataille pour trouver des appuis auprès de leur communauté, mais aussi des entreprises qui souhaitent s’engager en le finançant ou en apportant quelque chose.

« On changera la société si on entre dans une logique d’alliance entre des gens qui ne pensent pas forcément pareil, qui ne sont pas au même niveau de conscience. »

Jérôme prend alors l’exemple d’un projet visant à améliorer l’insertion des personnes réfugiées (et notamment par l’accès à l’emploi) grâce à la mise en place de cycles de mentoring à leur destination.

Autre projet issu des Engage Days, un rassemblement des membres de leur communauté tous les 6 mois : Engage With Refugees, Portraits et Recettes.

Lors d’un atelier d’intelligence collective, ils se sont demandés ce qui rassemble les gens. Réponse : la nourriture ! Ils ont ainsi réalisé un livre de recettes et de témoignages mettant en avant les plats et les histoires de réfugiés.

« Comment on le fait ? On n’est pas éditeur, s’exclame-t-il avec entrain. On va voir de grands éditeurs et ils nous disent « c’est génial, on peux le sortir dans 3 mois ». Sauf que l’on est fin Octobre et que l’on voulait le sortir pour Noël. On décide de l’auto-éditer. On trouve un partenaire et on fait un crowdfunding pour récupérer 20.000€. C’est cool on va pouvoir l’éditer. On l’a vendu grâce au réseau des Engage où chacun est parti avec 40 livres sous le bras et a été le porter dans la librairie à côté de chez lui. Résultat : on en a vendu 3000 exemplaires. »

L’histoire aurait pu s’arrêter là mais Jérôme reprend toujours avec la même modestie qui le caractérise :

« C’est symbolique : mais on a pu salarier en CDD 8 réfugiés. C’est une goutte d’eau bien sûr… mais pas forcément pour eux, parce que certains étaient là depuis 6 ans et n’avaient jamais gagné d’argent en France. C’était du concret. »

 

Une prise de conscience

Si Jérôme Cohen reste conscient de l’ampleur des défis face à nous, il reste optimiste.

« Les entreprises commencent à se dire : il faut peut-être que l’on change nous aussi. Elles se sentent en risque de perdre leurs clients, leurs salariés et leurs actionnaires. Alors là ça devient compliqué. »

Il cite alors l’exemple de Black Rock, principal fond d’investissement au monde pesant 500 milliard de dollars et dont le fondateur a récemment fait une lettre pour dire : « si vous ne changez pas et que vous ne mettez pas le bien commun au centre de votre mission, messieurs les chefs d’entreprises dans lesquels nous avons investies, nous allons désinvestir ».

Le message est le même du côté du Maire de New York qui menace de désinvestir des boîtes qui sont encore dans le fossile.

« Il y a une prise de conscience des risques et des opportunités de ces changements. On dépasse le washing (qu’il soit social ou green)… ils le font pour être rentable. Les entreprises commencent à bouger… par intérêt peut-être, par conviction sûrement. »

 

En maximum en cohérence avec moi-même

Jérôme Cohen s’est lancé dans l’aventure en réaction à une frustration : celle de voir qu’énormément de personnes dans les organisations et dans la société avaient une intelligence, une sensibilité, des compétences, mais ne les mettaient pas au service des bonnes externalités. Il voulait ainsi trouver le moyen de permettre aux individus de contribuer positivement, il souhaitait impliquer le plus de personnes et d’organisations dans cette transformation sociétale, aussi bien que sur la politique, l’économie, la gouvernance ou l’environnement.

« On m’a souvent dit que j’étais un impatient triste, nous confie-t-il. Avec la tristesse de voir que mon ambition n’est pas réalisée aussi vite que je le voudrais. »

« Mais je me soigne », ajoute-t-il en souriant.

Questionné par un membre de la communauté sur comment il arrivait à rester en cohérence avec ses principes à une époque où il est si simple (tellement plus simple il faut le dire) de consommer de manière non-responsable, Jérôme s’exclame :

« Personne n’est en cohérence parfaite ! »

Il nous raconte alors une discussion qu’il a pu avoir sur le même sujet avec Pierre Rabhi, célèbre fondateur du mouvement des Colibris. Cette figure de l’écologie lui avait répondu qu’il était bien obligé de prendre l’avion pour se rendre à des conférences. Il fait le maximum pour réduire son impact environnemental mais personne n’est parfait.

« Je suis le maximum en cohérence avec moi-même, nous explique Jérôme. Chacun a un niveau de maximum qui varie… mais l’idée est simplement de progresser au fil du temps pour être de plus en plus cohérent avec ses valeurs ».

Il cite alors la marque H&M : « j’y allais encore il y a deux ans… mais maintenant je n’y vais plus. Depuis peu, je n’achète quasiment plus rien de première main. C’est un petit geste… mais il me permet de poursuivre cet objectif que je me suis fixé : être de plus en plus en cohérence. »

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