Aurélie, Katie et Sabrina ont créé leur coopérative boulangère Le Pain de la Liberté en 2014. Le projet va très prochainement prendre une toute autre forme puisqu’elles vont ouvrir leur premier point de vente. De l’artisanat au féminin, de l’entrepreneuriat solidaire et sociale, des produits sans allergène et de saisons grâce aux circuits courts, la volonté de respecter l’environnement, d’adopter une organisation scientifique du travail… On les a rencontrées pour faire le point sur ce projet au lourd poids symbolique.
Gagner son pain, c’est gagner sa liberté
“La gestation ce n’est pas neuf mois en tout cas” nous lance Katie dans un éclat de rire. Lancé officiellement en 2014 et après quatre ans en B to B principalement, l’objectif aujourd’hui est d’avoir une boutique et d’accueillir les clients en direct.
Elles ont commencé par fournir leurs produits à des personnes qui les revendaient sous le nom de leurs propres marques, à des magasins bio notamment. Avec le temps, une question est devenue récurrente : « Mais où est-ce qu’on peut trouver ce pain ? » Katie et Aurélie se souviennent : “On n’était pas prêtes, on nous a quand même dit qu’on représentait un “symbole” – c’est fort quand on nous dit ça, parce qu’effectivement le Pain de la Liberté on ne l’a pas choisi par hasard, c’est vraiment une volonté d’émancipation et tout ce qui va avec”.
Le projet a mis beaucoup de temps à se monter, car elles ont travaillé sur beaucoup d’axes comme l’approvisionnement, la pénibilité au travail ou encore les intolérances alimentaires. “Tout ça à commencer à Montreuil, mais les intolérances ça vient de bien plus loin” résume Katie. Aurélie est intolérante au gluten, Sabrina au lactose : “Il y a plein d’intolérances alimentaires dans la famille”. Touchées directement par ses problématiques, Aurélie tient à préciser que “ce n’est pas un effet de mode”.
Cette coopérative, ce n’est pas non plus une histoire de famille parce que sinon elles n’auraient pas créé “une coopérative mais une SARL familiale”. Persévérantes et déterminées, elles espèrent, à l’avenir, “créer des bébés Pain de la Liberté” comme elles disent.
Le Pain de la Liberté c’est un mouvement de femmes pour les femmes certes, mais aussi pour les hommes : ”On a envie de construire un modèle qui pourrait se pérenniser” et qui sait, peut être s’étendre si elles arrivent “à tenir [la] barque, parce que c’est ça le plus difficile”. Elles avaient l’envie de créer un lieu atypique, avec beaucoup de superficie, c’est chose faite : “On finalise l’ouverture bientôt !”.
Militantes malgré elles
Nous pourrons bientôt les retrouver, Porte de la Chapelle, dans leur boulangerie aux murs roses.
Et ça n’a rien d’anodin ! Lorsqu’elles ont voulu lever des fonds, on leur a dit “bon les filles, on veut bien vous suivre mais seulement si vous vous installez dans le Marais”. Et pour prouver que le Pain de la Liberté est vraiment libre, elles ont dit “non”, raconte Katie. Après avoir fait beaucoup de choses dans l’ombre, sans aucun regret, elles ont fini par en faire une à la lumière : dire non aux fonds d’investissements et se débrouiller seules : “On a mis plus de temps mais on a refusé qu’on nous stigmatise pour une population bien spécifique et on est parti dans un quartier où personne ne nous attendait.”
Suite à ces galères, Katie, Aurélie et Sabrina se sont posé une question : qu’avaient-elles envie d’apporter à leur méthode entrepreneuriale ? Que voulaient-elles changer ? “Il y a une genèse de l’humain, si on est dans le solidaire et sociale c’est parce qu’on a des valeurs qu’on véhicule : la démocratie et le participatif”. Le deuxième axe c’est l’insertion des femmes, loin de vouloir faire du misérabilisme, la question sociale fait partie intégrante de leur ADN. Aurélie dit souvent qu’elle “ne comprend pas comment elle a été obligée de devenir féministe” confie Katie, “c’est toute l’expérience de l’entrepreneuriat, en tant que femmes, qui nous a mené à ça”. Revanchardes et persévérantes, elles veulent désormais former d’autres femmes au métier de l’artisanat : des femmes sans diplôme, souvent bénéficiaires des minimas sociaux, qui ont une rupture nette avec l’emploi et qui ont besoin d’un tremplin. Katie, toujours débordante d’énergie, pense que le Pain de la Liberté peut être cet exemple, pour « montrer à d’autres femmes que c’est possible, qu’il ne faut pas lâcher le morceau, il faut être courageuse, il faut y aller, trouver des gens passionnés et qui vont transmettre quelque chose. Nous on peut transmettre. »
« Avoir le savoir faire et le faire savoir »
La transmission, l’un des enjeux fondamental pour elles : “On éduque les enfants par l’alimentation, c’est important de les sensibiliser, les adultes en devenir, ce sont eux”. Et ça commence par la nourriture, la base de tout : “Jamais tu verras de fraises en hiver chez nous !”, précise la pâtissière. Avec des grands-parents agriculteurs, c’était important pour elles de se remettre les mains dans la terre : “On a tous besoin de se ressourcer, on a essayé de trouver comment se rattacher à ça : on suit les saisons, on essaie de consommer des produits locaux”.
Évident pour certains, moins instinctif pour d’autres, ces connaisances doivent, selon elles, commencer par s’acquérir chez son boulanger : “Si on ne l’apprend pas chez le boulanger, où est-ce qu’on va l’apprendre ? Car la boulangerie c’est quand même LE commerce préféré des Français.” Elles travaillent donc avec des agriculteurs locaux, une grosse partie des farines est produite en Île de France, elles font du pain au levain, avec des variétés de farines anciennes aussi. Cette exigence leur permet d’avoir une traçabilité des produits pour tous les clients, pour leur dire qu’une boulangerie peut se connecter avec un agriculteur : “C’est possible, ça nécessite toute une organisation mais si on revenait à ces essentiels-là, l’agriculture se sentirait déjà moins mal. Si cette idée pouvait s’essaimer partout ça serait génial, ça recréerait des filières”. Outre cet aspect qualitatif, elles souhaiteraient “organiser régulièrement des débats, des ateliers sur l’alimentation responsable avec tous les gens qui y sont sensibles, ou pas, mais qui ont au moins une once de curiosité”.
Mais comment attirer des gens, qui justement, ne sont pas sensibles à ces questions ? Pour Katie, il y a quelque chose d’assez paradoxal parfois c’est que moins on en dit mieux c’est. Faire goûter, sans storytelling à l’Américaine : “Je me suis rendue compte que si on parle trop avant de faire goûter le produit ça saoule les gens. Pour eux c’est assez binaire : “ça me plaît ou ça me plaît pas gustativement”. Ça c’est le premier choc. Et si ça plaît aux papilles, après on en parle et il faut amorcer comme ça.”
C’est toute la problématique de la pédagogie : comment mettre en place une pédagogie alimentaire autour d’alternatives ? “On ne peut pas vouloir imposer les choses, par contre on peut les proposer. C’est toute la délicatesse qu’on doit avoir nous les dames dans la boulangerie : d’avoir le savoir faire et le faire savoir. Tout est complexe, rien n’est acquis et là en l’occurrence, tout se transforme, c’est le cas de le dire.” Les trois soeurs estiment que nous arrivons dans une nouvelle ère, une mutation de la consommation : “On réfléchit tous à comment éviter au maximum notre impact sur l’environnement, comment transmettre ça aux enfants, aux générations futures, aux autres. On se pose tous les mêmes questions. L’idée d’être en coopérative ça signifie que c’est l’énergie du groupe qui va générer des réponses. Il n’y a pas une réponse possible, il y a des centaines d’hypothèses. Ce qui est sûr c’est que si chaque artisan mettait la main à la pâte, et c’est le cas de le dire, l’impact serait énorme ! Parce que les métiers de bouches ont vraiment beaucoup de liens avec la clientèle de proximité et je pense que c’est par là que ça doit passer. C’est injecté directement dans la société, en intraveineuse.”
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