EDUCATION

Roberto Gauvin

ECOLE NOUVEAU-BRUNSWICK

« Je suis un entrepreneur d’école »

 

Interview et rédaction : Corinne Delaunay

 

TERRA INCOGNITA #04  S’ENGAGER POUR UN MONDE MEILLEUR

Dans le village de Clair au Nouveau-Brunswick, environ 900 habitants, l’école publique a placé la technologie au coeur de son enseignement. L’école abrite 200 élèves âgés de 5 à 14 ans.

Son directeur, Roberto Gauvin, n’a pas l’ambition de révolutionner le monde. Il vit sur le lac Baker, à quelques kilomètres de Clair, à trois heures de route de Québec. Un endroit un peu magique qui semble toujours être en villégiature. Le Nouveau-Brunswick est une province anglophone mais les irréductibles francophones, les bien-nommés Acadiens, sont bien présents. Ce détail prend tout son sens quand on sait que Roberto Gauvin est le fondateur d’Acadiepédia, un site qui permet aux jeunes francophones de prendre leur place sur le web. « Pour laisser des traces de qui on est, où on est. Ce site va être développé à tous les francophones de la planète. La langue française ne doit pas mourir. J’ai la double mission avec les écoles francophones du Nouveau-Brunswick de développer cette culture et cette identité. Chérir ce sentiment d’appartenance. La communauté francophone est présente dans toutes les provinces canadiennes de l’ Ontario à la Colombie britannique, pas seulement au Québec. »

L’homme est tranquille et simple. Il n’a pas l’allure d’un geek ou d’un homme d’affaires. L’éducation est toute sa vie. Il est pourtant à la tête d’une école devenue un exemple dans le Canada et bien au-delà. Mais aucun égo ne transparait dans son discours, il joue collectif. Cette école c’est son équipe, les élèves et la communauté. Il est né à Québec, mais a passé son enfance au Nouveau-Brunswick. Après une maîtrise en sciences de l’éducation, en mathématiques et en physique, il fait ses armes dans un établissement de Winnipeg et en devient le directeur adjoint. En 2000, un poste de directeur est vacant à Clair, il décide de rentrer chez lui. Les 4 écoles des villages aux alentours ont été regroupées. Pour pallier à ces fermetures, l’école appelée Centre d’Apprentissage du Haut Madawaska (CAHM) promet un enseignement différent dans la lignée des learnings centers développés aux États-Unis. (NDLR : les learnings centers proposent des services pédagogiques et technologiques, ils mettent l’accent sur l’appropriation communautaire des connaissances.) C’est le début du 21ème siècle, la tech pointe son nez et Roberto Gauvin est précurseur.

Dans cette région du Haut Madawaska, les entreprises principales sont la menuiserie, les usines de transformation du poulet et les meuneries. « C’est difficile de convaincre les gens de l’extérieur de venir s’installer ici, il faut leur offrir des services. Beaucoup d’entreprises sont à court de main d’oeuvre. L’école attire des gens. Des familles viennent s’établir grâce à cette nouvelle forme d’enseignement. »

« À Winnipeg, j’ai pu travailler avec le secteur technologique. Toutes ces expériences avaient porté leur fruit. J’ai rajouté ici la notion d’entrepreneuriat. »

Roberto Gauvin nous a livré les clés de sa réussite.

 

Cultivez la prise de risques

« Mon expertise au sujet de la collaboration et de la prise de risques a un peu bousculé le corps enseignant. Je suis moins formel dans mon type de gestion qu’un directeur « classique ». Je suis un enseignant et un entrepreneur. Je suis un entrepreneur d’école. Il faut apprendre à s’entreprendre. On peut faire beaucoup plus que ce qu’on croit. Aujourd’hui, on peut développer des réseaux et résoudre facilement des problèmes. « The world is flat » pour citer Friedman.

Je crois beaucoup à la théorie de l’autodétermination de William Glasser. Je ne peux pas obliger les gens à faire des choses. Mais j’essaie de faire en sorte que les gens aient envie de les faire. Cela prend un peu plus de temps, mais ils vont toujours au-delà des attentes. Quand on travaille en innovation, c’est difficile d’avoir des recherches précises, on improvise beaucoup. Il doit y avoir de la place pour essayer, échouer et réussir. »

Pour lui, cette prise de risques au sein de l’équipe pédagogique est indispensable. Développer cette culture auprès des enseignants et éducateurs est le sésame. Chacun doit prendre des initiatives et ne pas avoir peur de les prendre. « Nous nous réunissons régulièrement pour partager et avancer ensemble. Il n’y a aucune hiérarchie entre moi, les éducateurs et les enseignants. Nos compétences sont transversales »

 

Impliquez la communauté

Le rôle de la direction est de s’assurer que l’équipe a tous les outils nécessaires pour ses projets. « Je vais chercher auprès de la communauté et des politiques de l’argent et des ressources. Une personne (l’agent communautaire de développement ) s’occupe de récupérer des fonds. Grâce à notre colloque international lancé en 2009, c’est beaucoup plus simple, on vient maintenant à nous pour créer du partenariat. On va puiser nos forces dans la communauté, mais on agit aussi pour elle » Un des programmes phares est le Programme Envol basé sur le bénévolat. Les élèves vont donner de leur temps pour jouer aux jeux de société ou proposer des manucures dans une maison de retraite. Une serre pour l’école a été construite en collaboration avec des élèves en menuiserie.

« Aujourd’hui, une centaine de bénévoles collaborent avec nous. Ce sont souvent les grands-parents qui sont retraités. »

Comment faire pour créer une émulation au sein des élèves, leur donner envie de s’impliquer dans la vie de l’école ?

 

L’école appartient aux élèves

« J’ai rencontré Frédéric Lenoir lors de son passage à Québec. Je lui ai posé cette question : si vous deviez monter une école, vous y feriez quoi ? Il m’a répondu qu’il prendrait soin de la tête, du coeur et du corps. Dans les écoles, on veut trop remplir la tête, et on n’oublie le coeur, le côté affectif. Les élèves doivent se sentir bien et fiers de leur établissement. Un exemple, notre défi, l’hiver est d’enlever la neige. On lance un appel. On demande 10 volontaires. Souvent ils sont bien plus à vouloir aider et ce pendant leur temps libre !

Nous faisons aussi attention au corps avec l’alimentation et le sport. Le système éducatif est parfois tellement rigoureux que les enseignants s’empêchent de faire des choses qui devraient être faites. »

« Notre mission est de développer le plein potentiel de chaque enfant et la pensée critique.« 

« Les élèves doivent s’entreprendre. Aujourd’hui, internet nous donne accès à toutes les notions dont on a besoin. Notre rôle est de les aider à trouver l’information au bon endroit et de la bonne manière. Nous sommes là en tant que guide, non en maître.» L’école est inclusive, tous les élèves, quelque soit leur niveau de difficulté, sont accueillis (NDLR c’est la loi au Nouveau Brunswick).

Pour aider les élèves à développer leur talent, l’école est dotée d’un studio d’enregistrement accessible à tous, mais aussi d’un labo créatif. Le labo est ouvert à chaque récréation et temps libre. Les élèves de tout âge s’y retrouvent, travaillent seuls ou en petits groupes. À leur disposition, des tablettes, robots, ordinateurs. Un des élèves,13 ans, a eu envie de réparer les ordinateurs. Il les démonte et les nettoie. Sans aucune aide technique. Sa seule envie lui a permis d’apprendre en autodidacte. Ces ordinateurs remis à neuf sont prêtés aux élèves qui n’en possèdent pas. D’autres penchés sur leur tablette ont recréé le village de Clair pierre après pierre sur Minecraft. Le labo créatif est la fierté de Roberto Gauvin. Tous ces enfants montrent leur ingéniosité dans une totale confiance et liberté. « Nous cherchons l’épanouissement de chaque enfant et nous voulons leur donner la chance de mieux se connaitre. Tout le monde a une aptitude particulière. »

 

Partagez : Un colloque à dimension internationale

Tous les ans, depuis 9 ans, en janvier, quand la neige a recouvert toute la région, l’école reçoit pendant 3 jours 300 personnes, enseignants, directeurs d’école, éducateurs du Canada, de Belgique, de France…

Comment est née cette idée un peu folle ?

« Les francophones ont toujours eu une réticence à montrer ce qui va bien contrairement aux anglophones. Il se passe plein de choses partout dans le monde. On peut, bien sûr, partager sur les réseaux sociaux, les tweets fonctionnent très bien. Twitter est le réseau social des enseignants. Tout est publié sur notre blog. Mais rien de telle que l’expérience, cela produit un électrochoc.

J’avais fait un colloque à Autrans dans le Vercors . Quand j’ai vu le monde venir dans ce tout petit village, j’ai lancé sur mon blog l’idée de créer un colloque ici. Tout le monde était enthousiaste. En 2010, la première année, l’invité d’honneur était un penseur-expert des nouvelles technologies. On veut que l’éducation change. Ici ça fonctionne alors pourquoi pas ailleurs ? » Barcamp, tables rondes et expérimentations ponctuent les 3 jours de cet anti-colloque où tout le monde est acteur. Mais le point culminant reste la visite des classes quand les élèves présentent leur projet. Les participants se promènent librement de classe en classe et posent leurs questions aux élèves, aux enseignants.

Prochaines dates : dernière semaine de janvier (24 au 26 janvier 2019)

Roberto Gauvin a une énergie débordante et une idée par minute. « Comment je me motive ? Dans le sourire des enfants et la joie de les voir créer. »

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