ECONOMIE CIRCULAIRE

Jules Coignard

CIRCUL’R

Faire matcher startups et grands groupes

 

Interview et rédaction : Anne Taffin

Photographies : Valentin Pringuay

 

TERRA INCOGNITA #04  S’ENGAGER POUR UN MONDE MEILLEUR

« Sans cette rencontre, je n’aurai pas du tout fais ça ». Cette rencontre, c’est celle de Jules et Raphaël, au Mexique, dans les bureaux d’Airbus. Deux hommes aux valeurs communes, en quête de sens, qui vont lâcher leur CDI pour donner vie à Circul’R, le premier écosystème d’entreprises de l’économie circulaire en France. Loin de l’aviation, ils mettent aujourd’hui en relation grands groupes et startups innovantes pour résoudre les problèmes environnementaux et dessiner un monde meilleur pour nos enfants.  

Malgré un froid glaçant, les participants ont répondu présent et s’amassent rapidement dans la boutique de Tale Me (voir interview) où Circul’R a installé ses bureaux depuis quelques mois. Entre deux portants de vêtements, Jules débute le récit de ses plus belles rencontres entrepreneuriales, de Paris à Durban en passant par Mexico.  

 

A la croisée d’un chemin…au Mexique!

Souriant, Jules met tout de suite à l’aise par sa simplicité et son sourire. Son projet, il y croit, il le vit, il le porte sur lui. Basket veja, tee-shirt Patagonia. L’économie circulaire est bien plus que son job, c’est une de ses valeurs. Pourtant, son parcours ne l’y prédestinait pas particulièrement. Il grandit dans le sud ouest de la France, près de la côte basque. Raphaël, son associé, fait ses premiers pas à Clamart. Ecole de commerce pour le premier, Sciences-Po et la Sorbonne pour le second.

Jeunes diplômés, ils débutent leur carrière chez Airbus, en France et au Brésil. Jusqu’ici, pas de développement durable ou d’économie circulaire à l’horizon. C’est leur rencontre, dans les bureaux mexicains de la compagnie aérienne, qui créera le déclic.

A cette époque, Jules avoue qu’il ne se sentait pas vraiment à sa place. « Je bossais avec des gens passionnés mais moi, je ne l’étais pas« . Raphaël se posait lui aussi des questions sur son avenir professionnel. En quête de sens, les deux amis se demandent comment changer les choses. Passionnés de surf, la gestion des déchets plastiques dans les océans les interpelle immédiatement.

 

La graine de l’entrepreneuriat est semée.

Pour tester et recueillir des avis sur leur projet, ils utilisent la technique des 50 cafés consistant à prendre un café avec 50 personnes de secteurs totalement différents. « On se levait à 5h30 pour faire des Skype avant d’aller bosser ou on essayait de se dégager du temps à l’heure du déjeuner » explique Jules. Un sacrifice, une folie? Pas vraiment. « On se motivait et on se disait que ça valait le coup« . Les deux amis sont convaincus de leur projet et de sa future réussite.

En quelques mois, ils discutent avec des juristes, des architectes, des entrepreneurs mais aussi des experts du secteur. Deux rencontres finiront par sceller leur destin. La première, avec un éminent scientifique qui travaille à l’IFREMER, François Guliani qui « a un peu refroidit nos ambitions mais dans le bon sens » avoue Jules. « Il nous a expliqué qu’une fois dans les océans, le plastique se dégrade vite et devient presque impossible à récupérer ». Il faut donc intervenir en amont. Et il y a du boulot !  Comme Jules le rappelle, 80% des déchets marins proviennent de la terre, et donc, des activités humaines. L’économie circulaire fait tilt dans leur esprit. Au même moment, la France inaugure l’institut de l’économie circulaire. Les futurs associés les contactent. À la fin de leur entretien, ils ont trouvé leur cheval de bataille. Ils décident de quitter Airbus quelques mois plus tard et reviennent en France pour monter leur association Circul’R.

 

18 mois, 22 pays, 150 startups : voyage autour de la terre !  

« Nous ne savions pas vraiment ce qui se faisait dans le monde et encore moins dans les pays en développement en termes d’économie circulaire « admet Jules. Pour le savoir, ils décident de partir à la rencontre d’entrepreneurs du monde entier. Pendant un an et demi, ils parcourent 22 pays, développés ou en développement, pour établir un premier état des lieux. Un ambition et long périple qu’il faut bien financer.

Grâce à leur expérience passée chez Airbus, ils savent parler aux grands groupes et trouvent facilement leurs premiers partenaires financiers parmi lesquels Accor, Air France, Patagonia… et récoltent ainsi 100 000 euros. Du greenwashing ? Jules est mitigé. « On s’est posé la question de savoir si on pouvait accepter de l’argent de n’importe qui ». Etonnamment, la réponse est positive. Pour nous éclairer, Jules cite Mohammed Yunus, lui-même interrogé sur son partenariat avec Danone. « Ce n’est pas Danone qui m’utilise, c’est moi qui utilise Danone« . Sourire de l’assemblée.  Après tout, « cet argent nous l’utiliserons pour faire quelque chose de bien » estime Jules.

Mais l’image de marque n’est sans doute pas la seule justification à l’engouement des grands groupes pour le projet. Tous espèrent sans doute trouver de nouvelles solutions pour améliorer la gestion de leurs déchets. Accor a, par exemple, conclu un partenariat avec une société indienne qui récupère ses draps pour les transformer en serviettes hygiéniques.

À cette somme, les deux acolytes ajoutent les 6000 euros obtenus grâce à leur campagne de crowdfunding.

Place ensuite aux choix des projets. « Nous avions trois critères de sélection: le degré d’innovation, la réplicabilité et l’impact final du projet » explique Jules. En plus de leurs recherches, leurs partenaires non financiers comme Ashoka et MakeSense leur fournissent également des contacts. « Nous avions identifié deux projets par pays afin d’être sûrs d’en découvrir au moins un au minimum. Ensuite, c’est la bouche-à-oreille et le réseau qui ont fait le reste. « Nous rencontrions un entrepreneur qui nous parlait d’un autre et ainsi de suite« . Un ainsi de suite qui les a mené à croiser la route de 150 projets, bien plus que les 100 initialement prévus!

 

« Toutes ces rencontres nous ont donné un motif d’espoir »

De ces 18 mois sur les routes, Jules et Raphaël reviennent plus convaincus que jamais du potentiel et surtout de l’importance de leur projet.  Leur premier constat, c’est que l’économie circulaire est partout. « C’est la manière de l’envisager qui diffère » indique Jules. « Dans les pays en développement, recycler, réutiliser, est une nécessité pour combler des besoins primaires ». Par contre, cette pratique manque d’institutionnalisation et de règles. « L’enjeu pour ces pays est de réussir à se développer sans passer par la case industrialisation à outrance puis gestion des déchets » contrairement à ce qu’ont fait les pays occidentaux.

En Occident, la demande est différente. D’un côté, les consommateurs deviennent de plus en plus sensibles aux engagements des entreprises. De l’autre, des pays comme la Chine ont clairement fermé la porte de leurs usines d’incinération de gestions des déchets aux étrangers. Le tout jetable n’est plus en vogue. L’économie circulaire, par contre, est propice à l’entreprenariat.  Preuve en est, les deux acolytes ont réalisé pas moins de 250 connexions même si toutes n’ont pas abouties. Une réussite rendue possible grâce à l’ouverture d’esprit des entrepreneurs de l’ESS. Ils n’ont pas « hésité un instant à parler de leurs projets et de leur business model à des entreprises concurrentes » souligne Jules, encore un peu surpris. A contrario, la France est dotée d’une culture de l’entreprise qui flirte plutôt avec celle du secret. Cette différence provient du leitmotiv même des dirigeants de l’économie circulaire qui travaille certes, pour l’argent mais surtout pour l’impact de leur projet. Ces rencontres, toutes plus folles les unes que les autres, inspirent encore aujourd’hui les deux entrepreneurs dans leur quotidien comme cette rencontre avec une experte du biomimétisme en Afrique du sud.  Il peine à trouver les mots pour exprimer ses sentiments. « On a passé deux jours exceptionnel, c’était juste hallucinant, on s’est complètement fait brainwasher » avoue t-il, un sourire béat aux lèvres. Pour résumer cet échange, il reprend une histoire contée par cette femme: « si vous prenez toutes les fourmis et tous les humains présents sur terre dans deux mains, la biomasse des fourmis est plus importante. Comme elles sont ultra productives, leur consommation calorique est environ 6 fois supérieure à celles des Hommes. Il n’y a donc aucune surconsommation car tout ce qu’elles font sert uniquement à nourrir leurs concitoyennes« . Après un court silence, Jules conclue : « si la nature peut le faire, nous le pouvons également en créant un écosystème vertueux ». C’est ce qu’ils font à leur retour en France !

 

Les hommes qui murmurent aux oreilles des entreprises

« Pendant tout notre voyage, nous étions conduits par un fil rouge, celui de l’entreprenariat mais nous ne savions pas vraiment ce que nous allions faire » explique Jules. Pour commencer, ils surfent sur la notoriété de leur voyage et participent à de nombreuses conférences pour témoigner des réussites économiques et sociales de l’économie circulaire. Les entreprises, qui parlent RSE mais peinent à établir de véritables stratégies, sont très réceptives. En janvier 2017, Jules et Raphaël décident de transformer Circul’R en entreprise.

Au départ, « nous ne voulions absolument pas faire du conseil mais simplement faire du sourcing en mettant en relation startups et grands groupes » explique Jules.  Mais dans la réalité, les choses s’avèrent plus compliquées. « Quand une startup nous dit : génial, on démarre demain, un grand groupe nous explique qu’il faut demander validation au N+1, N+2, N+3… » s’amuse Jules.

C’est là qu’apparaît la grande force de Jules et . Se définissant comme « une startup avec une expérience de grand groupe », Circul’R comprend les problématiques et les process des deux parties.

Ils décident d’épauler davantage les entreprises : de l’analyse de leurs problèmes à la mise en œuvre pratique de solutions. Une sorte « de conseil 2.0 où les entreprises se voient proposer un écosystème de solutions » comme aime le formuler Jules pour se consoler de tout de même faire du conseil.

 

Un avenir qui s’écrit à plusieurs …

Et leur projet marche ! « Nous commençons à bénéficier d’une petite notoriété dans le secteur de l’économie circulaire » se réjouit humblement Jules. Résultat, les startups et les entreprises viennent spontanément chercher leur expertise. La RSE (responsabilité sociale des entreprises) est désormais inscrite dans la charte de nombreuses entreprises. Mais il n’y a pas de formule magique non plus ! « Nous entrons souvent par la voie des déchets mais le mieux c’est de partir de la base et de penser au recyclage avant même la création » admet Jules.  Il aime prendre l’exemple d’Influenca, une entreprise de moquette qui a réussi à se renouveler en proposant une gamme entièrement recyclable. Aujourd’hui, elle est leader de son marché. En parallèle, les deux fondateurs développent d’autres projets comme un club Circul’R qui proposera 4 sessions communes de design thinking (réflexions collectives) par an.

La solution n’est pas uniquement dans les mains des industriels. Les associations doivent dénoncer, les citoyens repenser le mode de consommation et les politiques donner une orientation globale par leurs décisions et la législation. L’économie circulaire est l’affaire de tous…et « l’éducation est sans doute un axe prioritaire qui doit débuter dès l’enfance » selon Jules.

Pour impliquer les citoyens et d’autres entrepreneurs du monde entier, ils ont développé Circul’R Disruptor, une page Facebook où chacun peut partager ses découvertes, ses projets ou demander de l’aide. Les idées et propositions y foisonnent et les deux fondateurs de Circul’R viennent même y chercher l’inspiration ! Cette communauté reflète bien l’état d’esprit des deux jeunes français qui préfèrent les mots de « partenaire ou famille » à celui de « client ». Un décalage qu’ils cultivent aussi dans leur rendez-vous professionnel. Exit le costume-cravate des consultants, place aux jeans-baskets ! Un style qui plait et fonctionne plutôt bien. L’entreprise cherche, en effet, à s’agrandir. « Nos besoins toucheront surtout la partie accompagnement des entreprises » indique Jules. Mais pour le moment, les deux associés « s’interrogent encore sur la manière de le faire pour rester alignés avec leurs valeurs ». Une notion primordiale à laquelle les deux fondateurs tiennent plus que tout et constitue leur principal leitmotiv pour un avenir plus propre !

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