ENVIRONNEMENT

Pierric Jammes

PUR PROJET

Reconstruire la biodiversité de notre planète

 

Interview et rédaction : Laure Coromines

Photographies : Valentin Pringuay

 

TERRA INCOGNITA #04  S’ENGAGER POUR UN MONDE MEILLEUR

“Il faut cultiver notre jardin”.

Édictée à la fin du conte philosophique Candide, la maxime n’aura rarement trouvé un si joli écho que chez Pierric Jammes, le cofondateur de Pur Projet.

Durant ses études, le jeune homme rêve d’aller sur Mars, avant de se raviser : il y plein de belles choses à faire sur Terre avant d’explorer l’Espace. Après Polytechnique et Stanford, Pierric fait un passage dans le conseil avant de partir faire le tour du monde pour peaufiner sa réflexion. C’est décidé, il montera une entreprise sociale combinant ses trois passions : la nature, les gens et les voyages.

En 2008 son chemin croise celui de Tristan Lecomte, pionnier du commerce équitable et biologique, fondateur d’Alter Eco. Après une demi-heure à papoter autour d’un café, les deux hommes décident de monter Pur Projet.

Le concept de base est simple : planter des arbres au Pérou et en Thaïlande pour empêcher l’érosion des sols et compenser les émissions de carbone. Depuis, la structure est passée de la petite startup (“non pas de garage, mais de grenier, au début, on était sous les toits”, se souvient Pierric) à une ESS de poids avec plus de 150 entreprises partenaires, 120 personnes travaillant sous sa houlette, et une quarantaine de projets dispatchés dans autant de pays, entre l’Indonésie, le Canada et la Côte d’Ivoire.

Puis, par soucis de pertinence, Pierric a remodelé la mission de Pur Projet.

Aujourd’hui, l’entreprise développe des projets sociaux et environnementaux pour le compte d’entreprises ayant de forts besoins en matières premières, comme Nespresso, AccorHotels ou Clarins, et qui souhaitent assainir leur mode d’approvisionnement.

Aujourd’hui, le jeune homme est nomade. Quand il ne parcourt pas le globe pour mener à bien ses différentes initiatives, il pose son sac à dos en Amazonie andine pour cultiver son cacao et aménager sa cahute en bois sous les arbres luxuriants de la forêt tropicale.

 

Une histoire qui commence au Pérou

En 2008, Tristan cherchait à ébaucher une solution allant au-delà du bio et de l’équitable afin de créer un produit neutre en carbone. Cette année là, une terrible sécheresse ravage les productions de cacaos de la région de San Martin au Pérou, où Alter Eco est déjà bien implanté. La moitié des récoltes est compromise, et les agriculteurs se tournent vers Tristan : pourrait-il les aider à planter quelques arbres pour sauver leurs terres? Cela fait tilt, et Pierric entre en scène.

Les deux entrepreneurs réalisent alors que cette problématique touche beaucoup d’entreprises, qui pourraient à moyen terme se trouver très vulnérables quant à leur approvisionnement en matières premières. En cause : changements climatiques, érosion des sols, diminution des sources d’eau, et manque d’intérêt des jeunes générations pour le travail aux champs.

D’autres entreprises encore se confrontent à la gestion de leur impact écologique et de leur empreinte carbone. Planter des arbres ne suffit pas, même si les chiffres sont impressionnants : depuis le lancement de Pur Projet, 8 512 239 arbres ont déjà été plantés pour près de 30 000 fermiers.

Pour Pierric, il est nécessaire de développer une approche plus holistique capable de porter ses fruits de manière pérenne : “dès le début, dès le design du projet, on se projette sur 40 ans, sinon cela ne sert à rien!” Pour cela, l’entrepreneur doit répondre à plusieurs questions : comment transformer la manière dont les entreprises achètent leurs produits, tout au long de la chaîne valeur, en ayant un impact positif sur l’écosystème ? Et renforcer le tissu social des organisations locales en les rendant plus indépendantes ?

La réponse de Pierric : mettre en place des projets de terrain portés par des coordinateurs locaux, qu’ils soient petits producteurs, associations ou coopératives, pour transformer durablement les politiques d’achats ou de RSE des entreprises. Avec à terme un horizon bien précis : se rendre inutile. “Ce que l’on veut, c’est donner aux communautés locales les moyens de pérénniser, et de bien valoriser et vendre leurs production”, explique Pierric avec enthousiasme.

En fonction, des filières – cacao, café, coton…, les solutions proposées varient. Les concevoir est compliqué, puisqu’elles doivent répondre à une pluralité d’enjeux et de cas particuliers, comme les spécificités environnementales et locales, que les équipes de Pur Projet se doivent de soigneusement cartographier et analyser.

Pierric précise : “Notre spécificité, c’est de favoriser une approche collaborative et communautaire, en travaillant avec une multitude d’acteurs et de petites organisations. On ne prétend pas tout savoir, et on s’appuie toujours sur l’expertise de fermiers agronomes et de forestiers locaux.”

 

L’agroforesterie : un remède miracle ?

Au fil des missions de Pierric, l’agroforesterie s’est imposée comme une solution à de nombreux maux.

Elle consiste en l’association d’arbres, de cultures, et parfois d’élevage, sur une même parcelle de terrain, pour favoriser les interactions entre faune et flore. L’objectif : diversifier la production des parcelles, garantir l’irrigation du terrain, booster la biodiversité, stocker du carbone et fertiliser les sols. Et l’agroforesterie ne tend pas, à l’instar de la permaculture, à se cantonner à une petite portion de terrain cultivée à la verticale. “Nous allons au-delà de la parcelle, à l’échelle du bassin versant, ou même du paysage, en plantant du bois sur et autour des zones déforestées aux sols érodés, à la manière d’une mosaïque, en croisant végétal, forestier et agriculture.”

Pierric poursuit : “L’arbre a un pouvoir phénoménal en termes de bénéfices écosystémiques et économiques.” En plus de neutraliser le CO2, il contribue à la reconstruction de la biodiversité. L’arbre est aussi une source de revenus alternatifs pour les fermiers, via la vente de bois, de fruits, de champignons ou de fourrage. L’entrepreneur précise : “On ne cherche pas à pousser systématiquement l’agroforesterie, mais on s’est rendue compte que c’est souvent une la réponse adéquate aux problèmes rencontrés par les fermiers du Sud, comme l’érosion des sols, la dépendance à une culture unique, la fluctuation des prix du marché, la captation dérisoire de la valeur ajoutée…”

En plus de la mise en terre de plants, Pur Projet aide les fermiers à gérer leurs stocks de bois et à valoriser leurs arbres de manière durable dans le respect de la certification FSC.

“Les producteurs péruviens s’apprêtent d’ailleurs à manufacturer leur propres meubles”, commente Pierric en tapotant la table sur laquelle il est accoudé : “celle-ci ne vient pas encore du Pérou, mais c’est pour bientôt !”  

L’important est de ne pas s’enfermer dans une approche unidimensionnelle : oui, planter des eucalyptus en masse réduirait les émissions de C02, mais cela assècherait drastiquement les terres aux alentours. PUR Projet prône donc des modèles de plantation d’arbres natifs et diversifiés : “on n’est jamais dans une démarche extrémiste, on reste dans le compromis. On essaye toujours de concilier des contraintes différentes tout en simplifiant les modèles afin de les rendre réalisables.”

 

Des fermiers pionniers et engagés

Mais l’agroforesterie n’est pas toujours le bon levier face aux enjeux identifiés dans les filières. Pur Projet a conçu des alternatives : passage au bio ou à la permaculture, technification et diversification de la production grâce à l’ajout d’une culture complémentaire n’ayant pas les mêmes profils de risque (comme la lavande avec la rose, la pomme de terre ou la myrtille avec la noisette).

La collaboration évolue en fonction des besoins et du niveau de maturité projets : il s’agit parfois d’appuyer de petits fermiers peu expérimentés et mal à l’aise avec les notions de coût et de dépense. “Avec eux, on part de 0, on les prend par la main et on les accompagne jusqu’à ce qu’ils deviennent autonomes.” L’aide apportée est donc très progressive : elle va du soutien pour passer des commandes de graines, assurer leur réception et leur stockage, jusqu’à l’accession aux droits de propriété, à la valorisation de co-produits ou à la formation de coopératives.

En outre, Pierric travaille de plus en plus à l’intégration d’aspects sociaux, par exemple en Turquie. Confronté à la question des migrants et du travail des enfants, il applique le même savoir-faire qu’il a développé au fil des années : la mise en place d’une dynamique, de méthodologies et formations, toujours dans la même optique de collaboration et d’étroits échanges. “Tout est co-construit, sinon cela ne marche pas !”, assure-t-il.

Pour que les projets survivent dans la durée et que l’expertise de Pur Projet soit réellement assimilée, il est vital de bénéficier de l’adhésion des locaux.  

L’entrepreneur l’a bien compris : le changement ne peut être induit que porté par des fermiers visionnaires, dont les cultures réussies font figure de proue. “On mise sur la solution par l’exemple. Et très vite, cela fait tache d’huile. Les agriculteurs n’ont pas la méfiance qu’ils auraient envers un énième blanc qui vient sur leurs terres pour essayer de les arnaquer car nous sû gagner leur confiance,” se réjouit-il.  

Pierric doit aussi composer avec la présence tentaculaire de Monsanto. Si Pur Projet ne se heurte pas en frontale avec eux, la société est tout de même confrontée aux pratiques peu scrupuleuses des vendeurs de phytosanitaire, qui écument les campagnes pour promouvoir insecticides et herbicides. En Asie, il est fréquent d’apercevoir des parcelles témoins, des lopins de terre complètement rasés flanqués d’un panneau Roundup pour démontrer la redoutable efficacité du produit…”Il y en a partout, cela fait un peu mal”, concède Pierric.

“Face à ça, on est sur de la re-conscientisation, de la rééducation aux alternatives qui existent et qu’on propose.”

 

Du tropique du Capricorne au tropique du Cancer

 

Comme leurs parents et grands-parents, la majorité des fermiers du Sud vivent de la terre, à laquelle ils ont développé une forte connexion. Ils sont d’autant plus réceptifs aux arguments de Pur Projet qu’ils s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Beaucoup craignent la ville et les affres de la drogue et de la prostitution, dans des villes comme Manille ou Bangkok, et espèrent fournir des débouchés viables à leurs enfants grâce à l’agroforesterie. Pierric complète : “planter des arbres, cela leur parle. Cela leur permet de léguer un patrimoine à leur enfant et de payer leurs études. Cela représente aussi un capital qu’ils peuvent valoriser auprès des banques pour obtenir des crédits.”

Ce n’est hélas pas le cas dans tous les pays en transition économique. La Turquie, bien qu’encore relativement pauvre, a été complètement convertie aux pratiques conventionnelles, celles que l’Europe embrasse depuis des décennies : “entre engrais chimiques et pesticides, il n’y a plus un arbre, plus de végétation, les terrains agricoles turques sont ravagés, et les conséquences dramatiques…”, déplore Pierric.

Le jeune homme tient toutefois à nuancer son discours : “il faut se rendre compte qu’avoir un système agro écologique qui fonctionne, ce n’est pas facile, car il faut quand même exercer un contrôle sur les mauvaises herbes, les nuisibles…Tout n’est pas noir ou blanc, ce n’est pas si simple.” D’autant plus que la phase de transition entre une agriculture traditionnelle et une agriculture biologique est souvent dure : quand il ne reste plus qu’un désert sous perfusion en guise de terre, l’écosystème est long à se rééquilibrer, surtout en milieu non tropical, où la végétation pousse moins vite. Compliqué d’attendre pour des fermiers soumis à la pression du rendement…

Dans le cas de la Turquie et de la plupart des pays de l’hémisphère Nord, les fermiers, sont aussi souvent lourdement endettés, et donc moins enclins à repartir de 0. “On ne va pas changer la vie d’un fermier en plantant une haie sur son terrain, alors qu’au sud on peut rapidement et facilement tripler les revenus des agriculteurs en plantant des arbres”, souligne Pierric.

 

A la maison les mains dans la terre

Depuis tout petit, Pierric ressent un fort attachement à la nature : “dans le jardin de mes parents, je passais mes week-end à planter et tailler…”, raconte-t-il les yeux brillants. Et puis lors de ses tribulations, Pierric est tombé amoureux d’une petite vallée nichée au coeur de l’Amazonie andine, à plus de quatre heure de pirogue de la bourgade la plus proche. Il y a acheté un petit bout de terrain où il a développé une modeste ferme agroforestière où se côtoient plans de cacao et arbres fruitiers, dans un petit village où vivent une trentaine de personnes. “J’essaie d’y aller aussi souvent que je peux pour cultiver ma terre, à peu près 4 fois par an. Cela me permet de tester de nouveaux modèles, et cela me ressource.” Là-bas pas de routes, pas de portables. Pierric poursuit : “cela fait aussi du bien de se confronter aux difficultés des petits producteurs, c’est extrêmement enrichissant”. Au figuré bien sûr, car la culture du cacao, comme beaucoup d’autres, n’est pas rentable si l’on comptabilise le temps passé. Et les conséquences sont parfois dramatiques pour les fermiers locaux : il y a deux ans, l’arrivée inopinée d’insectes dans la région a détruit 80% des récoltes.

Depuis 5 ans, Pierric est nomade : il n’a plus d’appart, mais une cahute au Pérou qu’il rafistole quand il revient dans sa forêt d’adoption, où il passe le plus clair de son temps les mains dans la terre.

Si les pouvoirs publics, après avoir fait mine de s’intéresser aux solutions mises en place par Pur Projet, trainent à financer les projets, les actions intentées par Pierric ont attiré l’oeil de l’UNESCO : l’agence a reconnue une zone de 2.5 millions d’hectares, où PUR Projet accompagne les fermiers à préserver la forêt primaire et reforester les espaces dégradés, comme Réserve de Biosphère (Réserve de Biosphère Gran Pajaten).

Plus indirectement, cette reconnaissance internationale a mis en lumière une région quelques peu négligée par le gouvernement, qui y a dopé ses investissements dans les infrastructures scolaires et hospitalières.

Malgré tous ces accomplissements, Pierric ne peut s’empêcher de douter : “on va dans la bonne direction, mais vraiment pas assez vite. On essaie de transformer les choses, et on y arrive, mais cela reste une goutte d’eau. Ce qui me déçoit, c’est que les entreprises commencent à s’engager, mais bien trop lentement ! Elles sont encore très gouvernées par les actionnaires et par une vision de la rentabilité à l’année.” Alors, pour planter des graines, Pierric essaie de promouvoir l’entrepreneuriat, partout sur son chemin. Et si des gens se mettent à faire ce qu’il fait, mais en mieux, parfait !

Au Pérou, entouré de sa “deuxième famille”, Pierric se sent pousser des ailes: “passer du temps avec les fermiers, cela me rend optimiste. Et on doit rester optimiste ! Ils sont très vulnérables, ils souffrent, mais dans leur perception des choses, et leur philosophie de vie, ils sont plein d’entrain, et s’adaptent…Cela me redonne du courage ! Ce sont des gens extrêmement inspirants, plein d’un bon sens qu’on a souvent perdu, et qui m’aide à remettre les choses en perspectives.”

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