LIVRE

Emilie Vidaud

SOCIAL CALLING

Le déclic pour agir des entrepreneurs

Interview et photographies : Valentin Pringuay

Rédaction : Anne Taffin

 

TERRA INCOGNITA #04  S’ENGAGER POUR UN MONDE MEILLEUR

Et si la vocation des entreprises n’était plus seulement d’engranger des bénéfices et de reverser des dividendes à ses actionnaires ? Si au contraire même, les nouvelles technologies pouvaient servir l’intérêt général tout en étant rentable ? C’est le pari (fou) que font de plus en plus d’entrepreneurs et de salariés qui ressentent au fond de leurs tripes le besoin de se sentir utile, d’avoir de l’impact dans leur travail.  Ce sentiment, qu’on appelle le social calling, séduit de plus en plus de français. Pour mieux comprendre le phénomène et faire émerger ses pépites qui oeuvrent pour un monde meilleur, la journaliste économique Emilie Vidaud, est parti à leurs rencontres pendant 18 mois. Dans sa quête, elle a embarqué le fondateur de vente privée, Jacques-Antoine Granjon ; l’opportunité de le confronter à une autre vision du business et, pourquoi pas, instaurer un peu de social calling chez le colosse des fins de série.   

Emilie découvre le métier de journaliste un peu par hasard grâce à son père et son mode de vie atypique. Entrepreneur de l’internet dans les années 90, il « branchait les ordinateurs en réseau dans la maison, ce qui était impensable à l’époque ».  L’homme, qui fait figure d’ovni, intéresse inévitablement les médias qui viennent l’interviewer au plus près de ses installations. Emilie profite d’une de ces occasions pour interroger une journaliste de l’Express sur son métier. « Elle m’a répondu qu’elle rencontrait des gens et essayait de retranscrire ce qu’ils lui disaient ». La jeune adolescente de 14 ans éprise d’écriture et de justice a le déclic : elle sera journaliste.

Aujourd’hui encore, Emilie parle toujours de cette vocation comme d’un rêve dont les rencontres la nourrissent. Pourtant, elle a dû affronter quelques écueils. Etre une femme, qui plus est visionnaire, l’a forcée à tracer sa propre route pour « s’imposer dans le milieu ». Résultat, elle vient de publier un livre qui sonne comme un appel à l’action !

 

Tracer sa route !

Le bac en poche, Emilie passe par Sciences-Po avant de faire une école de journalisme. Elle multiplie ensuite les expériences, d’abord dans « le journalisme politique, très misogyne  puis économique pour de petits médias peu connus ». Elle continue ainsi pendant une dizaine d’années et grimpe les échelons en passant de l’aéronautique aux grandes écoles pour finir par traiter des sujets relatifs à finance et aux grands patrons du CAC40.  À cette époque, « j’évoluais dans un monde très compétitif et je le vivais très mal » concède Emilie. Elle commence à contacter les patrons de presse et de télé pour leur proposer un café. « J’ai reçu beaucoup d’invitations à dîner pour aller plus en profondeurs ». Vous aurez compris le sous-entendu. Par chance, elle fait aussi de belles rencontres comme celle de Claude Vincent, journaliste aux Echos Week-end, qui « la prend sous son aile et lui propose d’écrire un premier article pour eux »

 

Son propre social calling !

Emilie est également rattrapée par son côté justicier. « Je voyais de plus en plus de familles vivre dans la rue. J’ai été choquée de me dire que la société nous consignait pour qu’on soit résigné » comme s’il n’y avait rien d’autre à faire que passer à côté d’eux. Elle commence alors à s’intéresser aux initiatives françaises qui tentent de « résoudre » ces problèmes de société. Mais le sujet s’avère trop novateur pour l’époque et les propositions d’Emilie sont refusées par les grands médias. Combative et déterminée, elle comprend que « pour peser dans le domaine du journalisme, elle va devoir créer son propre canal journalistique » et décide d’écrire un livre. Pour expliquer son choix, elle cite le célèbre chef culinaire, Thierry Marx pour qui « si rien est sacrifié, rien est gagné ».

Sans idée très précise au départ, Emilie part à la rencontre d’une centaine d’entrepreneurs en se basant sur trois critères : leur business doit répondre à un problème de société, générer du CA et avoir un impact mesurable. Sa seule certitude à cet instant est son titre, Social calling. « J’ai dû me battre pour l’imposer, un éditeur m’a même suggéré Candide et les illuminés » explique la jeune femme, encore perplexe devant un tel cliché.   

 

Social business vs capitalist business

A l’époque où elle débute son enquête, le secteur de la social tech en est encore à ses balbutiements. Emilie veut « éclairer les trajectoires des silencieux» et battre en brèche quelques idées reçues. « Quand les gens regardent le parcours des trois fondatrices de Kokoroe, ils s’imaginent tout de suite des filles venant d’une famille très aisée alors que ce n’est pas du tout le cas ».

Cette enquête est également l’occasion de faire « un parallèle entre le monde de la tech qui a permis de construire des géants qui ont gagné beaucoup d’argent et n’avaient que des visées capitalistiques et le fait que la technologie permet aussi d’améliorer la vie ».

Pour l’accompagner dans son aventure, elle a challengé le patron de vente privée, Jacques-Antoine Granjon qui a accepté d’assister à 9 rencontres. « À la fin de chacune d’entre elle, il était épaté » explique Emilie, fière d’avoir su capter son attention…et même initié un changement ? Selon elle, sa société s’apprête à annoncer l’arrêt de vente de fourrure. Une décision qui devrait générer « quelques dizaines de millions d’euros de pertes » sur les 3 milliards de CA que compte l’entreprise. « Ce n’est pas grand chose mais c’est mieux que rien ».

 

Mesurons l’impact !

Boudés il y a quelques années, ces nouveaux entrepreneurs à conviction sociale, sont aujourd’hui plus que jamais sur le devant de la scène. Emilie tire la sonnette d’alarme sur le phénomène. « Le secteur en est encore à ses balbutiements et les médias construisent des rôles modèles ». Une nécessité qui ne doit pas faire tomber les journalistes dans le monde superficiel et bienheureux des licornes et autres animaux fantastiques. « Il faut créer des grilles d’analyses spécifiques » pour vérifier et mesurer l’impact réel de ces entreprises, pas uniquement en termes financiers mais également (et surtout) en termes de bénéfices sociales et sociétales. Contrairement à une société classique, le chiffre d’affaire ne suffit pas à s’assurer de la réussite de ces entrepreneurs. « C’est difficile de critiquer quelqu’un qui « fait le bien » mais il peut y avoir des dérives » estime Emilie pour qui « l’image de la personne doit être au service de la cause et non l’inverse ».

Attention également à l’introduction d’une sorte de bulle médiatique qui, après encensé ce social business, le ferait tout aussi vite s’effondrer devant son manque d’efficacité. 

 

Et si, comme eux, nous avions un déclic pour agir ?

Chaque génération a un combat à mener. « Celui de nos parents était la construction de la paix et de l’Europe, le nôtre est de lutter contre le réchauffement en développant des solutions ». Et nous avons tous les outils en main pour le faire !

« Les jeunes n’ont plus besoin de leurs parents ou des politiques pour reprendre le contrôle » explique Emilie qui prend sa fille en exemple. À 8 ans, elle a réalisé un court film pour sensibiliser à l’environnement et l’a postée sur youtube. Biberonnés aux smartphones et à internet, « les jeunes n’hésitent plus à utiliser leur micro influence pour défendre leurs idées et leurs convictions ». Grâce aux réseaux, ces nouvelles idées « s’étendront jusqu’aux entreprises et aux grands patrons qui finiront par les intégrer dans leur modèle au risque de se voir « boycotter » si rien est fait ».

Avec son livre, Emilie espère aussi convaincre les citoyens qu’ils peuvent agir. Selon une étude du groupe AEF, 64% des français aimeraient changer de métier mais n’osent pas. Parmi les 28% ayant déjà sauté le pas, plus de la moitié a été motivé par un alignement avec ses valeurs. Les femmes sont les premières concernées. Dans le secteur de l’entreprenariat social, elles représentent 66% des chefs d’entreprises contre 10% dans la tech. « Leur driver ne sont pas les mêmes. Elles dépassent leurs freins pour résoudre un problème qui leur tient à cœur, pour créer leur propre solution à la maladie d’un enfant par exemple » explique Emilie.

Des idées, des ambitions, de la motivation et des outils techniques…tout semble là pour faire décoller ces entreprises en France et à l’international…Sauf peut-être de l‘argent ?

 

« Il est l’or mon seignor »

« L’argent est toujours le nerf de la guerre » reconnaît Emilie pour introduire les deux prochaines clés de cette économie sociale : le gouvernement et les grandes fortunes. Le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, appelé loi PACT, est actuellement en cours de discussion. « Il faut voir comment les choses seront faites » tempère Emilie.

Les grandes fortunes doivent, elles aussi, changer d’attitude. «  Elles ne mettent pas un centime au service du bien commun. Bill Gates a même rappelé Bernard Arnault à l’ordre sur le sujet ». Cette culture américaine de la philanthropie pourrait pourtant être un formidable booster pour l’économie sociale et solidaire. Tout espoir est donc permis pour réaliser ce fameux changement d’échelle tant attendu dans le secteur ! 

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Tharreau
Tharreau
6 années il y a

Très interressant

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